Suède, Italie : l’Europe face à l’extrême-droite

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Dimanche 11 septembre, le peuple de Suède s’est rendu aux urnes. En Italie, c’était le 25. S’est dégagé dans ces deux pays un bloc de droite et d’extrême droite, où cette dernière avait la part belle. Et la comédie s’est répétée une énième fois. Un peuple vote, les chroniqueurs décident de se lancer dans des diatribes expliquant l’erreur d’un vote qu’on ne pourrait limiter qu’à une victoire idéologique de l’extrême droite. Pourtant, il signifie bien plus. Récit.


Une extrême-droite européenne qui prospère

Le vote d’extrême droite et de droite conservatrice aux élections nationales en Europe doit nous interroger. La Suède n’est qu’un cas d’école. L’œuvre de dédiabolisation alliée à l’appropriation de thématiques oubliées par les autres formations politiques ont conduit les Démocrates de Suède nationalistes et populistes. Ils sont ainsi devenus, sous la direction de Jimmie Åkesson, le deuxième parti du pays, passant de 5,70 % des voix en 2010 à 20,54 % aujourd’hui Ce n’est pas davantage un hasard que le Rassemblement National, en France, soit passé de 6 420 000 voix au premier tour des élections présidentielles de 2012 à 13 300 000 voix au second tour des élections présidentielles passées. Pas davantage un hasard qu’une femme défendant ardemment le néo-fascisme italien se trouve portée au pouvoir par une coalition recueillant 43,82 % des voix (12 300 000 contre 7 338 000 pour la coalition de gauche arrivée deuxième) contre 2 % en 2013.

La réalité est plus profonde : ces élections sont le symptôme visible, la réaction cutanée à un abandon du peuple et de ses aspirations en Europe. La victoire de la coalition d’extrême droite en Italie n’est qu’un stigmate européen supplémentaire. Les peuples tournent leur regard vers une politique civilisationnelle. Les électeurs de centre-droit votent de plus en plus à droite. L’euroscepticisme d’extrême droite devient la caricature d’une critique raisonnée d’une Europe à structurer.

L’ensemble de ces élections se structurent autour d’un périmètre géographique : celui qui donne forme à l’Union européenne. « La souveraineté européenne ne veut rien dire sans un peuple européen » affirmait la regrettée Coralie Delaume. L’erreur a été de penser trop longtemps que l’État pouvait ne devenir qu’un outil de coordination politique et que l’Union européenne pouvait, devait, dirait-on même, se substituer – par sa construction – à la volonté du peuple. Si l’Union n’est pas la cause de tous les maux qui secouent les peuples européens et si son nom permet à nombre de dirigeants populistes de camoufler leurs décisions impopulaires derrière l’Union européenne, il serait dommage de se vautrer dans une naïveté enfantine consistant à nier l’existence d’un problème autour de la question européenne.

Le résultat ignoré du référendum français de 2005 en est un symbole. Les régions industrielles touchées de plein fouet par une mondialisation violente et dérégulée ont voté massivement « non » au référendum sur la Constitution européenne. Ces mêmes régions votent aujourd’hui massivement pour l’extrême droite. La longue mise à l’écart institutionnelle d’une Italie que les dirigeants européens aimaient nommer le « mauvais élève », de la Pologne et de la Hongrie au nom de l’État de droit ont renforcé l’extrême-droite. Le peuple italien a été scandalisé par l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker qui déclarait en 2018 : « Plus de travail, moins de corruption, et plus de sérieux. » Dans le même temps, l’Italie a subi des privatisations massives depuis les années 1990 afin de respecter les politiques budgétaires strictes. La dette publique et le chômage n’ont cessé d’exploser.

Étrangement, ce sont ces mêmes États qui votent aujourd’hui massivement pour l’extrême droite. Tout cela montre que le péché originel de l’Union européenne a été d’abandonner le principe de souveraineté des peuples et leurs singularités. Doit-on oublier la marginalisation de la Grèce en 2015 avec des décisions politisées de la Banque centrale cherchant à faire échouer un gouvernement démocratiquement élu ? L’ensemble de ces illustrations montrent qu’il n’y a pas de hasard à la montée de l’extrême droite en Europe. Les affronts successifs, la construction européenne à marche forcée, l’abandon de la défense de la « souveraineté » comme fondement de toute décision politique, les néologismes pour masquer l’impuissance politique – ce tout conduit à donner l’impression d’une grande improvisation.

Le piège de l’extrême-droite : quelle voie de sortie ?

La perte de souveraineté des États est un sentiment ancré dans la chair des zones géographiques les plus défavorisées, les plus touchées par les inégalités, les plus sujettes aux mouvements d’immigration. Aucun débat technique sur la place des traités dans l’ordonnancement juridique n’a eu lieu pour répondre à cette impuissance publique. L’extrême droite comble ce vide. Elle le fait en Italie en dénonçant une immigration qu’elle considère hors de tout contrôle. Elle le fait en France en s’adressant à la « France des oubliés », des déclassés. Elle le fait en Pologne en s’adressant à une franche partie de la population qui refuse l’hétérogénéisation culturelle. Elle le fait en Suède en s’appuyant sur un rejet de l’islam présenté comme une menace civilisationnelle.

Et l’égalité ? Quel paradoxe ! L’extrême droite qui se veut défendre le peuple, ne s’exprime jamais en faveur de l’égalité. Eux, si prompts à des différenciations sur l’origine ethnique, ne se bousculent pas pour critiquer l’orthodoxie libérale et proposer des alternatives sérieuses. Non, l’extrême droite ne s’intéresse pas à la question sociale. Les discours de cette dernière ne reposent que sur une homologie, dire qu’ils sont les dignes représentants des déclassés, les mis à l’écart.

La gauche républicaine peut faire barrage à l’extrême droite en Europe et en France en s’imprégnant non pas des thématiques stimulées par ces extrêmes, mais des aspirations des peuples. Autrement dit, la structuration d’un système fiscal plus juste, la question des salaires, la valeur « travail », la réindustrialisation, la sécurité au quotidien, le protectionnisme, le renouveau démocratique – l’ensemble de ces questions intéressent ceux qui votent pour l’extrême droite. Paradoxalement, ce ne sont pas les sujets mis sur la table par les partis de la droite réactionnaire. C’est là, dans cette faille, qu’il faut s’engouffrer : ramener la question sociale au cœur des débats sans éluder les inquiétudes sur l’immigration, sur la sécurité, sur la perte de puissance politique. Joindre la question sociale à celle du travail. Ne pas lâcher les entreprises, mais les intégrer à un tout. Les protéger. Faire de l’État le cadre, parce que, contre bien des postures, l’extrême droite réfute toujours l’idée de renforcer l’État, la conduisant à bon nombre d’alliances avec la droite libérale en Europe. Les élites mondialisées doivent comprendre et intégrer qu’il n’y a de solidarité si elle n’est populaire, si elle n’est pas celle qui tient le fondement de toute nation : le peuple – ces femmes et ces hommes aux premières lignes des crises et des nécessités quotidiennes.

L’extrême droite en Suède prouve sa mascarade : renoncement sur les questions européennes, renoncement sur l’OTAN, déni climatique, libéralisme économique. La configuration est identique en Italie. Le monde des affaires semble s’y faire, s’y plaire. L’extrême droite européenne parvient à un miracle : l’union supposée des ouvriers, des travailleurs pauvres et des grands groupes et élites mondialisées. Chapeau l’artiste. Qui peut y croire ? Qui peut penser que les intérêts du peuple et des millions de familles modestes seront défendus à égalité avec les intérêts des ultra-riches ? Imposture.

Ainsi est la voie. La Suède n’est que la photographie d’un album plus grand. Nation sujette à des crises profondes qui dépassent l’image dorée d’un pays maître de la social-démocratie. Nation consciente de ses fragilités sur la question de la sécurité et l’immigration. Nation consciente de sa désindustrialisation dont l’entreprise Ericsson n’est que l’ombre. Nation fragmentée sur la question atlantiste, sur celle de l’OTAN, sur celle de l’Union européenne. Au fond, la Suède pourrait être la France, l’Italie, une partie de l’Allemagne. Mais ses doutes ne sont pas irrémédiables. L’extrême droite, outre une rhétorique xénophobe et mortifère, partout en Europe, s’accommodera toujours d’une Union européenne ralentie, fermera toujours les yeux sur une question sociale à laquelle aucune réponse n’est apportée, outre la stigmatisation de l’Autre.


Le chemin est clair. La ligne de démarcation aussi. La bascule se dessine. Le continent européen peut sombrer tout entier dans les bras de l’extrême droite. Le continent européen peut aussi renouer avec l’idée de nation, avec une certaine forme de protectionnisme, avec la question sociale, avec l’industrie, avec l’État – avec au fond, tout ce qui fait les intérêts si peu conscientisés de peuples qui se sentent abandonnés, déboussolés. « Il faut se déterminer en pensant au droit de notre peuple. » disait Philippe Séguin. Cela est d’autant plus d’actualité que ce doit être notre boussole : penser toujours au droit de notre peuple. Ne jamais laisser prétendre l’extrême droite le faire. Jamais.

Ergen Dogan

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