BHL VS BOLSONARO : pendant que les chiens aboient, la caravane brûle

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Temps de lecture: 5min

Un goût de cendre

Une réaction encore à la catastrophe écologique qu’a été et qu’est toujours le grand incendie de l’Amazonie en août 2019. On a déjà beaucoup trop lu et trop entendu les acteurs, les entreprises, les politiciens, les brésiliens et comme pour tous les grands sujets d’actualité, c’est en comparant chaque pierre de l’édifice à sa voisine que l’on saura tirer des conclusions saines et empreintes de remise en question. Dès lors pourquoi s’appesantir encore ? Une voix s’est fait entendre le 23 août 2019 par le médium d’un court post sur le réseau social Facebook. Il s’agit de Bernard Henri-Lévy qui ne pouvait pas manquer une occasion de pointer du doigt les coupables qu’il estimait être les vrais et uniques et d’exiger comme à son habitude des châtiments à la hauteur du crime perpétré. Ce post le voici :

« Amazonie. Goût de cendre et désolation. Que Bolsonaro, auteur au sens propre d’un crime contre l’humanité, soit poursuivi et tenu responsable de ce joyau du monde évaporé et dévasté. Celui qui brûle une bibliothèque détruit le peu de noblesse du monde ; celui qui incendie le poumon commun détruit la bibliothèque universelle de la beauté et de la splendeur. »1

BHL et la nouvelle philosophie:

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le mouvement d’un philosophe comme Bernard Henri-Lévy ou pour les néophytes en philosophie, c’est vers 1970 qu’est fondé la ‘’nouvelle philosophie’’, groupuscule de philosophes et d’intellectuels alliés de la Gauche maoïste de l’époque et réunissant des personnalités telles que André Glucksmann, Maurice Clavel, Christian Jambet et bien sûr Bernard Henri-Lévy. Le groupe subira une fracture après la sortie de l’Archipel du goulag d’Alexandre Soljenitsyne en 1973 qui divisera les penseurs maoïstes et communistes et leur vision de la politique soviétique. Si la nouvelle philosophie ne s’est jamais vraiment relevée après sa crise interne, son mode opératoire est intact et reste utilisé et revendiqué par certains philosophes dont BHL encore aujourd’hui. Apparaître le plus souvent possible dans les médias, aller sur le terrain, écrire régulièrement, vulgariser et être présent sur les réseaux sociaux sont autant de moyens utilisés pour faire de la philosophie, un principe d’action plutôt qu’un principe de pensée. Bernard Henri-Lévy écrit dans De la guerre en philosophie : « La philosophie ne vaut que si c’est un art de guerre ». Des vestiges viciés de la nouvelle philosophie est né le combat absurde et manichéen des forces du bien contre les forces du mal et pour BHL, de la démocratie contre la tyrannie. Il motive, par exemple, les responsables français à faire la guerre en Libye en 2011 puis laisse le pays mourir de la guerre civile après la chute de Kadhafi. Le dirigeant était en effet un dictateur sanguinaire avec ses opposants mais qui s’attachait à maintenir l’ordre et la stabilité économique du pays, Ainsi, même si le dictateur avait évidemment une grande part de responsabilité dans ce qui lui est arrivé, il semblait plus approprié de prendre du recul par rapport au conflit et de ne pas dresser un portrait trop simpliste des forces en présence. Aujourd’hui la Libye n’est plus que ruines fumantes où les seigneurs de guerre se disputent le territoire. Et ce n’est que l’une des nombreuses erreurs de jugement de notre BHL (cf: son discours peu documenté en Bosnie en Novembre 2013, intelligemment analysé par le philosophe Daniel Salvatore Schiffer2).

Un Brésil en émergence:

Abordons maintenant le cœur du problème. BHL veut stigmatiser un homme, Jair Bolsonaro, Président de la République fédérative du Brésil élu par le peuple le 28 octobre 2018. On ne peut accuser aussi naïvement un chef d’État de criminel et il est certain que l’incendie d’Amazonie trouve ses causes bien plus profondément que dans la simple personne de Bolsonaro. Nous pourrions parler de la course au profit engagée par le capitalisme, de la pression des pays développés sur les BRICS, de la concurrence des BRICS entre eux, ou plus généralement, de notre époque, apogée de la mondialisation, du système économique capitaliste et de la société de consommation.

Bolsonaro déclare dans South China Morning Post de Hongkong que « la Chine n’achète pas au Brésil mais achète le Brésil. » Les BRICS (acronyme anglais de Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sont les 5 pays émergents qui tendent à se faire une place parmi les pays développées en profitant des effets de la mondialisation et du commerce international. On le remarque sur les graphique ci-dessous3,que ce soit au niveau des exportations ou de manière plus générale à celui de la croissance économique, les pays en développement sont mis dans une concurrence acharnée et doivent se donner les moyens de sortir leur épingle du jeu pour devenir exploitants et non plus exploités. Selon le journal La Croix 4, la Chine a investi 53,968 milliards de dollars sur une centaine de projets au Brésil de 2003 à juin 2018. Un chiffre qui pourrait faire penser à une « sinodépendance ». En effet, la Chine rachète de gros groupes brésiliens comme taxis 99, finance des projets comme la construction du port de Sao Luis et veut peser dans le système bancaire brésilien. Autant de signes qui inquiètent le Président sur les véritables intentions de son partenaire économique.

Le Brésil doit donc trouver un moyen de continuer de vendre ses ressources et des terres aux pays étrangers et aux compagnies qui investissent des sommes considérables tout en conservant un patrimoine stable et rentable. Voilà comment le Brésil est devenu le 4ème pays bénéficiaire du monde en terme d’IDE (Investissements Directs à l’Étranger) en 20185. Néanmoins, à partir de l’année 2015, le pays connaît une crise économique sans précédent à cause notamment d’un contexte politique tendu, de la corruption qui a fait perdre confiance aux investisseurs. Le Brésil n’a plus le choix. Il doit utiliser les terres occupées par la forêt amazonienne pour relancer son économie, attirer des investisseurs et être compétitif au niveau international. L’agriculture intensive et extensive et l’exportation des produits vers l’étranger auront constitué 16.55 % du PIB en 2004 et, si l’on ajoute l’ensemble des actions commerciales entre le Brésil et le monde, on atteint près 30% du PIB toujours en 20046. ( Il s’agit ici de « la valeur totale des exportations de biens et services additionne à la valeur totale des importations de biens et de services, en pourcentage du PIB. C’est un indicateur très utile pour observer l’ouverture d’une économie par rapport à l’étranger. plus ce pourcentage est élevé, plus l’économie de ce pays est ouverte » selon Perspectives monde). Par conséquent, le Brésil ne peut pas se passer du potentiel terrien constitué par la forêt amazonienne. Il doit développer ses entreprises industrielles comme Embraer par exemple, 3ème plus grande compagnie aéronautique du monde; entreprise en pleine extension qui doit construire des hangars, des centres techniques, des bureaux. Enfin, il convient de libérer de l’espace pour être toujours aussi compétitif en matière d’agriculture. Rappelons que le Brésil est le premier producteur mondial de soja, café, sucre, orange, viande bovine et le deuxième pour ce qui est du maïs et le troisième concernant la volaille7. Autant de raisons pour lesquelles le pays a pu être appelé « le grenier du monde ». La politique de déforestation du Brésil est donc parfaitement rationnelle du point de vue économique. Les organisations mandatées par les pays les plus riches ordonnent à Bolsonaro et aux présidents brésiliens avant lui de préserver la forêt amazonienne alors que la Chine étend son emprise sur le Brésil. C’est une attitude paradoxale parce que ce sont justement les pays les plus riches qui ont accéléré le processus de mondialisation et intensifier le commerce international. La France, pour ne parler que d’elle, a mis en place le projet « montagne d’or » en Guyane qui implique l’exploitation polluante d’une mine à ciel ouvert. Même si le projet reste pour l’instant en phase de négociations, la compagnie continue de vanter les mérites de son projet soutenu par Emmanuel Macron au départ dont l’engagement écologique a été encensé par Bernard Henri-Lévy sur les réseaux sociaux. L’accord sur le libre échange entre l’Union européenne et le Mercosur le 28 juin 2019 est tout aussi hypocrite car même s’il promet une gestion plus écologiste de l’Amazonie, l’effet immédiat sera d’intensifier la production et donc le défrichage. La forêt représente un éternel manque à gagner et le pilier de l’économie brésilienne et la mondialisation allant de paire avec le capitalisme, il est devenu impossible à un pays émergent comme le Brésil de protéger la forêt au nom de l’écologie ou du patrimoine de l’humanité. Ces valeurs morales n’ont plus cours dans ce type d’économie où seul importe le profit et le développement qui sont eux même l’aboutissement de l’exploitation exacerbée d’un capital ; en l’occurrence, celui de l’Amazonie.

Crédit photo: REUTERS, Bruno Kelly

Une responsabilité partagée:

La destruction de l’Amazonie et l’incendie accidentel créés par une mauvaise maîtrise de la culture sur brûlis ne pouvaient pas être une surprise mais une externalité négative parfaitement prévisible. La vérité est qu’un pays en développement doit pouvoir exploiter tout le potentiel qu’offre son territoire pour rester dans la course peu importe les conséquences, elles seront toujours préférables à la banqueroute.

La faute au capitalisme alors ? Le capitalisme tire sa force des acteurs qui suivent son modèle économique. Ces acteurs c’est nous tous, chacun à notre niveau. Chaque jour nous consommons brésilien ; à chaque fois que nous buvons un café ou un jus d’orange par exemple. Nous sommes tous coupables du brasier amazonien, même vous BHL, vous avez craqué votre allumette à l’intérieur de la Bibliothèque de la splendeur. Tandis que votre intégrité partait en fumée, il vous a cru bon d’accuser le bibliothécaire. Il ne reste plus qu’à le reconnaître et à cesser de se cacher derrière des monstres pour enfin avancer dans la pensée et la recherche de solution. Pour lors, nous avons tous un goût de cendre dans la bouche.

Thomas Primerano,

Etudiant en philosophie à la Sorbonne, membre de l’Association de la Cause Freudienne de Strasbourg, membre de la Société d’Etudes Robespierristes, auteur de Hobbes contre les ténèbres, publié chez BOD.

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