Au cœur de la ZAD contre l’A69

5
(9)

Il faut habiter dans une grotte pour ne pas avoir entendu parler du projet d’autoroute A69, dans le Tarn. Projet qui n’en est plus un, puisque les travaux ont déjà commencé. Cela n’arrête pas les milliers de personnes mobilisées ce week-end, lors de l’évènement intitulé « Ramdam sur le Macadam ». Au programme de ces deux jours : manif’action, conférences et moments conviviaux. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu.

L’autoroute A69 a pour projet de relier Castres à Toulouse, 53 km de macadam pour 17 euros l’aller-retour. L’A69 serait construite en parallèle de la N126, gratuite, mais elle serait plus longue de 10 min. La patience a des limites. L’argumentaire des défenseurs de l’autoroute est résumé dans cette vidéo :

En projet depuis 30 ans, l’autoroute divise les élus et les populations locales. Le laboratoire Pierre Fabre a durant plusieurs années effectué du lobbying auprès des élus locaux du Tarn et au plus haut sommet de l’État. D’après une enquête du média Off Investigation, deux des actionnaires principaux d’ATOSCA, la société de concession spécialement dédiée à l’autoroute, sont  des proches de la macronie.

Un des arguments phares pour la construction de l’A69 serait qu’elle permettrait de désenclaver le territoire de Castres et le sud du Tarn. Or, aucune recherche en aménagement du territoire n’a jamais démontré que la création d’infrastructures de transport était automatiquement synonyme de développements socio-économiques.

De plus, la construction de l’A69 se veut verte et respectueuse de l’environnement selon le site d’ATOSCA malgré le fait que des milliers d’hectares de terre vont être artificialisées pour toujours. L’autoroute verte, c’est celle qu’on ne construit pas. No Macadam.

Une mobilisation locale et nationale

La date du 21 et du 22 octobre 2023 était prévue depuis longtemps dans l’agenda des luttes tarnaises. L’appel avait été lancé par plusieurs associations de préservations environnementales telles que La voie est libre, le Groupe National de Surveillance des Arbres (GNSA), La déroute des routes, La Confédération Paysanne et Les Soulèvements de la terre.

Samedi matin, plusieurs milliers de manifestants locaux et de l’ensemble du territoire étaient présents sur le lieu de rendez-vous, à la Crémade près de Castres, malgré les nombreux contrôles policiers. Certains avaient posé leur tente sur le champ, prêté par l’agriculteur. Le tracé de l’autoroute était proche, mais les travaux n’avaient pas encore commencé sur cette zone. La foule ne cesse de grandir au fil des heures et écoute les conseils de la Légal Team, qui sous la forme d’un slam conseille à chacun.e de garder le silence en cas d’interpellation. Certains manifestants se masquent pour ne pas être identifié, car un hélicoptère de type EC135 T2+ équipé d’une caméra longue portée vole au-dessus de nos têtes.

Le mouvement de contestation contre l’A69 est depuis le début pacifiste comme le témoigne un manifestant : « Tous les moyens légaux de recours en justice contre l’A69 ont été faits, raconte une manifestante qui souhaite garder l’anonymat. Nous ne sommes pas des écoterroristes, nous protégeons le vivant. On ne casse pas pour le plaisir, c’est le dernier moyen que l’on a pour être entendu. »  Les militants n’ont pas manqué d’imagination dans leur lutte, certains ont occupé pendant des semaines des arbres centenaires menacés d’être coupé pour l’autoroute. Plusieurs militants, dont Thomas Brail ont entamé une grève de la faim de 38 jours puis une grève de la soif, pour que le gouvernement interrompe définitivement le projet. Cela avait contribué à médiatiser le projet de construction de l’A69.

12 h 30. Le cortège de manifestation s’apprête à partir. La tête de cortège est occupée par les tracteurs de la Confédération Paysanne, suivie par les manifestants. Dans sa cabine, Hugo au volant explique : « 80 agriculteurs ont été expropriés, ça représente 400 hectares de terre en tout. Certains de ces agriculteurs sont là, dans le cortège. D’autres ont accepté les indemnisations proposées. La Chambre de Commerce du Tarn et la FNSEA (NDLR : syndicat agricole) ont encouragé les paysans expropriés à les accepter. Au fait, tu sens ? ATOSCA a déversé du fumier un peu partout hier pour nous décourager de rester ».

Hugo, agriculteur, membre de la Confédération paysanne du Tarn et manifestant, le 21 octobre 2023 à Saix. Crédits photo : Poppy / Gavroche

Témoignage de deux agriculteurs expropriés : https://www.youtube.com/watch?v=Km4fPaX_OLU

Devant le portail de sa maison, une habitante filme la foule. Le tracer de l’autoroute passe juste à côté de chez elle. « Jamais, à nous les habitants, on ne nous a demandé notre avis. Cette autoroute, on n’en voit pas l’utilité. De toute façon, on ne pourra pas payer le péage. Ça va créer plus de nuisances qu’autre chose. »

Détermination et organisation sont leur force

Le cortège principal se sépare en six cortèges différents. Tandis que le cortège doré fait diversion en occupant les forces de l’ordre, le cortège rouge s’introduit dans la cimenterie Carayon. Le lieu n’est pas choisi au hasard, car l’entreprise est engagée dans le chantier de l’autoroute A69, en tant que sous-traitants d’ATOSCA. Parmi les vitrines collatérales, on dénombre trois véhicules toupies et un engin de travaux publics. Pendant ce temps, le cortège violet a aménagé deux maisons dont les propriétaires avaient été expropriés, en ZAD.

La ZAD de la Crémade, 22 octobre 2023. Crédits photo : Poppy / Gavroche
La Zad de la Crémade, 22 octobre 2023. Crédits photo : Poppy / Gavroche
Une des nombreuses pièces de la maison occupée, le 21 Octobre 2023. Crédits photo : Poppy / Gavroche
Sur les toits de la ZAD, le 21 octobre 2023. Crédits photo : Poppy / Gavroche

Après la manifestation, tous les cortèges se sont retrouvés au camp, une Street Médic confie :« une personne blessée au genou à cause d’un LBD a dû être évacuée ».

Ce samedi soir, l’ambiance est festive à la ZAD de la Cremade, rebaptisée Crem’Zad. « Je ne me suis jamais autant sentie à ma place », confie une manifestante. Au cours d’une réunion dans laquelle chacun peut prendre la parole librement, on s’organise. « Qui compte rester ici dimanche soir et dans les jours voir semaines à venir ? » Dans l’obscurité de la nuit, quelques mains se lèvent. Du côté du camping, à cinq minutes de marche à pied, l’ambiance est à la fête. César, 9 ans, le rappeur du climat déclame ses vers contre l’A69 et le Youtuber « Partager c’est sympa » chante son tube phare Soulève-toi.

« Ils ont la force on a le nombre
Ils ont la peur on a l’espoir
Ils ont les gaz mais nous on t’a toi
Soulève-toi ! »

L’hélicoptère fait son grand retour au-dessus du camping vers 4 heures du matin. À 6h, une alerte est donnée, le camp se réveille et tente de se protéger d’une évacuation. Vers 8 heures, la tension redescend. La ZAD s’organise. Certains construisent des barricades avec ce qu’ils trouvent, une fanfare se déplace un peu partout, d’autres réalisent des plans de la ZAD.

Midi. Repas commun où chacun peut participer. Des scientifiques donnent une conférence dans un champ sur les conséquences écologiques de l’autoroute. Ils étaient 2000 à s’être mobilisés contre ce projet. 2000 à ne pas avoir été entendus.

Vers 12 h 40, des gens courent vers le camping, l’hélicoptère est toujours au-dessus de nos têtes. Au loin, on voit des nuages de gaz lacrymogène. Les gendarmes mobiles repoussent les manifestants au camping et gazent sur un terrain privé. Des grenades lacrymogènes provoquent des petits débuts de feu dans le champ. Enfants, jeunes et plus âgés, nombreux sont les manifestants à ne pas comprendre ni à voir ce qu’il se passe.

Une expulsion violente

Les occupants de la ZAD s’attendaient à être délogés, mais pas si tôt alors qu’il restait plus d’un millier de manifestants sur les lieux. « On s’attendait à ce que ce soit lundi au petit matin ou le soir, quand il y aurait beaucoup moins de monde. »

La vidéo de la journaliste à BRUT, Camille Courcy, montrent les forces de l’ordre charger une foule pacifiste. Une trentaine de blessés légers sont pris en charge par les Street Médics, principalement pour coup et blessure et brûlure suite aux lacrymos. Thomas Brail en fait partie, inconscient suite à un matraquage.

Les voitures partent une à une et dans l’urgence rentrent tentes et affaires. Peu à peu, le camp se vide et des barrières anti-émeutes sont installées autour de la ZAD. « Quelques chose de beau était en train de se créer, témoigne une retraitée. Cela me rend malade de voir tous ces jeunes qui se battent pour leurs idées se faire gazer ». D’autres, habitués aux violences policières, ne sont plus étonnés, ils n’en restent pas moins dégoutés.

Perspective pour l’opposition à l’A69

Depuis dimanche après midi, la ZAD n’est plus accessible. Les associations et collectifs mobilisés n’ont pas dit leur dernier mot et les travaux de l’A69 n’ont fait que commencer. Le collectif La Voie est libre continue de proposer son alternative à l’autoroute en promouvant la mise en place d’une véloroute et des aménagements de la NR126 pour la rendre plus sécurisée.

Des habitants et des élus locaux demandent une véritable consultation populaire qui déboucherait sur un référendum. La médiatisation nationale de cette lutte a permis de donner la parole aux opposants et de montrer l’absurdité de ce projet d’un autre monde.

L’A69 n’a pas fini de faire du ramdam.

Votre avis nous intéresse !

Parce que vous comptez...

Résultat moyen : 5 / 5. 9

Soyez le premier à partager votre impression!

Vous avez trouvé cet article intéressant...

Suivez l'aventure Gavroche sur nos réseaux !

Nous sommes désolés que l'article ne vous ait pas plus.

Aidez-nous à nous améliorer !

Dites-nous ce que vous en avez pensé !

Auteur/Autrice

Poster un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.