« Notre compétitivité risque d’être affaiblie par le Green-deal européen » – Entretien avec Jean-Paul Pelras

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Jean-Paul Pelras est une figure inclassable : d’abord maraîcher, arboriculteur et syndicaliste agricole, il est aujourd’hui écrivain et journaliste. Celui qui ne comptait pas les aller-retours entre Perpignan et Paris pour défendre la paysannerie continue de militer entre les Pyrénées-Orientales et l’Aubrac afin de préserver la ruralité de ceux qui précipitent le sort des agriculteurs, en peine depuis des décennies. Deux mois après la dernière réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) et à l’approche du salon de l’agriculture à Paris, nous revenons dans cet entretien sur des thématiques occultées par des ambitions communautaires et des élucubrations écologistes hors-sol.


Gavroche : Monsieur Pelras, vous critiquez souvent la PAC européenne. De quoi la tenez-vous responsable, en particulier dans sa nouvelle mouture ?

J-P Pelras : La PAC est nécessaire. Sans ce dispositif, la France serait un champ de genêts et de ronces de Lille à Perpignan. D’ailleurs, c’est ce que notre agriculture est un peu devenue dans les Pyrénées-Orientales où les principales productions viticulture, maraîchage, arboriculture ne bénéficient pas d’aides directes, mais seulement d’aides aux investissements. Des investissements tributaires d’un revenu pulvérisé depuis plus de trente ans par le jeu des compétitions déloyales. L’Europe n’ayant rien entrepris pour harmoniser les charges sociales, fiscales et désormais environnementales. Un rééquilibrage des aides de la PAC en faveur de ces secteurs aurait été nécessaire, mais le culte du partage n’est pas forcement de mise au sein-même de la profession où le revenu de certaines filières est conditionné par les soutiens européens.

La PAC est nécessaire. Sans ce dispositif, la France serait un champ de genêts et de ronces de Lille à Perpignan.

 

Gavroche : Que pensez-vous, Monsieur Pelras, des objectifs de transition de la nouvelle PAC sur le plan de la préservation de l’environnement et comment envisagez-vous le futur de la compétitivité du secteur agricole français à l’aune de la PAC réformée ?

J-P Pelras : Il faudra nourrir 9 milliards d’individus à l’horizon 2050 et tenir compte d’un pouvoir d’achat plombé par l’inflation. Et ce, même si elle est jugulée par la grande distribution avec la bénédiction des gouvernements successifs… L’exemple du Sri Lanka, revenu du bio pour retourner vers l’agriculture conventionnelle afin d’éviter la famine, nous éclaire sur ce que serait une orientation systématiquement « verdoyante » de nos productions. Tout comme la hausse des prix nous renseigne sur le budget global consacré à l’alimentation d’une famille. Il est de 450 euros pour le conventionnel avec une alimentation variée, alors qu’il est de 1148 euros pour une famille « adepte du bio »… Le ratio est implacable.

L’exemple du Sri Lanka, revenu du bio pour retourner vers l’agriculture conventionnelle afin d’éviter la famine, nous éclaire sur ce que serait une orientation systématiquement « verdoyante » de nos productions.

Concernant notre compétitivité, elle risque d’être affaiblie par le Green-deal européen et des programmes comme « Farm to fork » car les accords de libre-échange internationaux ne seront pas soumis à ces contraintes. Et la loi de l’offre et de la demande se soucie peu des considérations environnementales.

Gavroche : Les inégalités de subventions entre les secteurs agricoles sont un exemple des nombreuses difficultés économiques auxquelles sont confrontés les exploitants agricoles. Cette réforme peut-elle y remédier ?

J-P Pelras : Il existe une convergence des aides mises en place récemment par la PAC, mais elle est insuffisante. Il faudrait reconsidérer le revenu des filières et procéder à un réel rééquilibrage des soutiens. Encore une fois, les céréaliers qui siègent rue du Baume ou de la Boétie sont-ils prêts à partager les subsides communautaires avec le maraîcher Roussillonnais ou Breton et l’arboriculteur Provençal ? J’ai posé la question plusieurs fois lorsque je siégeais au Conseil d’administration du Centre National des Jeunes Agriculteurs à la fin des années 90. Je suis toujours revenu bredouille !

Gavroche : Pensez-vous que la souveraineté alimentaire de la France est possible ?

J-P Pelras : Sur les 95 milliards de déficit commercial annoncés pour cette année, 22 Md€ concerneront l’agriculture. Nous amorçons la descente… Et pourtant, il faudra nourrir 68 millions d’individus, chaque jour et 365 jours par an. Avec une difficulté de taille, la peur de manquer que constituerai une pénurie alimentaire. En moins de 48 heures, il faudrait faire face à des émeutes. La production et l’approvisionnement doivent à ce titre être garantis. Ce n’est pas une vue de l’esprit, mais une réalité que beaucoup d’idéalistes semblent occulter.

 

Gavroche : Vous annoncez la disparition du paysan dans quinze ans. Pourquoi un tel fatalisme ? Ne pensez-vous pas qu’une vision nostalgique et surannée du mode de vie agricole français, peut nuire à l’appréhension des nouveaux enjeux de sécurité alimentaire du pays ?

J-P Pelras : J’ai évoqué cette question récemment dans une tribune que me confia le journal Le Point. Les chiffres ne sont pas bons. Et, quoi qu’en disent les pouvoirs publics, le verre reste à moitié vide, siphonné par les effets d’une déprise agricole multifactorielle. 100 000 exploitations supplémentaires ont donc disparu en 10 ans. Il n’en reste plus que 390 000 contre 490 000 en 2010 et 663 000 en 2000. Le Ministre de l’Agriculture aura beau dire « qu’il n’y a pas d’industrialisation galopante de notre agriculture française, notre modèle étant un modèle de qualité tourné vers les exploitations à taille humaine avec une moyenne de 63 ha contre trois fois plus aux États-Unis », nous ne pouvons-nous contenter de ce scenario, qui consiste à jouer petits bras.

100 000 exploitations supplémentaires ont donc disparu en 10 ans. Il n’en reste plus que 390 000 contre 490 000 en 2010 et 663 000 en 2000.

Je n’ai jamais évoqué la moindre vision surannée de l’agriculture contrairement à ceux qui prônent le retour à la traction animale. Mais bien au contrairement, un développement des techniques de production et des innovations agricoles. Je ne suis pas de ceux qui sont prêts à troquer le glyphosate contre la bêche et la pioche. Peut-être parce que je sais, contrairement à certains écologistes, ce qu’il en coûte de les utiliser dans la morsure du froid de janvier et dans la lumière de juillet. Mon cousin Robert, éleveur en Lozère, disait à ce titre en parlant de ceux qui collectionnent les outils anciens : « S’ils avaient dû les utiliser toute leur vie, ils n’auraient pas envie de les accrocher au mur de la salle à manger ».

D’autre part, qui parmi les politiques et autres environnementalistes du moment, aura le courage d’aller dire à Mohamed VI qu’il faut décarboner, ne plus utiliser de pesticides, éviter les engrais, économiser l’eau et rémunérer correctement ses salariés ? Et ce, alors que dans le même temps, la machine à détruire la paysannerie française lancée par les ONG environnementales s’emballe. En moins de dix ans, les écologistes ont fait évoluer le statut d’agriculteur d’indispensable vers détestable suscitant, de facto, une stigmatisation en grande partie responsable du mal être paysan et de la déprise rurale qui en découle.

Gavroche : Notre agriculture est aujourd’hui intégrée et dépendante de la globalisation. Comment alors concilier ce modèle avec l’injonction du retour au local et aux circuits courts qui a connu un nouvel engouement sous la crise du Covid-19 ?

J-P Pelras : La démarche des circuits courts est certes vertueuse et de toute évidence plus rémunératrice pour le producteur. Mais elle a ses limites car il faut pouvoir acheminer la nourriture quantitativement et qualitativement en tous points et à tout moment hors de nos campagnes, intra-muros dans les grandes villes et sur l’ensemble du territoire. Une tomate produite en Bretagne ou un faux filet aveyronnais qui doit être livré au centre de Paris, de Lille, de Lyon, de Bordeaux ou de Marseille est tributaire d’une logistique implacable qui ne supporte ni les pandémies, ni les intempéries, ni les conflits sociaux. Il faut donc mener de front deux politiques d’approvisionnement et ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul avec un modèle, je le redis, certes vertueux mais inadapté aux grands flux de consommation.

La démarche des circuits courts est certes vertueuse et de toute évidence plus rémunératrice pour le producteur. Mais elle a ses limites, car il faut pouvoir acheminer la nourriture quantitativement et qualitativement en tous points et à tout moment hors de nos campagnes, intra-muros dans les grandes villes et sur l’ensemble du territoire.

Parallèlement, il faut observer le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, les États-Unis, pays qui ne s’embarrassent ni de « Grands débats sur l’agriculture » pilotés par des experts en urbanisme et autres stars de téléréalité gâtés par un système qui les a comblés jusqu’à l’ennui. Pays qui tirent leur épingle du jeu non pas car ils jouent à la dinette avec les gourous de la permaculture, mais tout simplement car ils encouragent une « industrialisation galopante ». Ce qui leur permet d’être présents sur ces marchés d’où ils nous délogent progressivement. Ce qui leur permet aussi de répondre aux besoins alimentaires de l’humanité en rendant dépendants ceux qui auront préféré à l’ambition des investissements le dogme des renoncements.

Gavroche : Vous êtes une ancienne figure du syndicalisme agricole des Pyrénées-Orientales ; incarcérée durant 14 jours en 1993, suite à une manifestation qui visait à dénoncer les importations déloyales provenant de l’autre côté des Pyrénées. Ces combats n’ont généralement pas réussi à freiner le cours des réformes. Quelles ont été les défaillances du syndicalisme agricole et quelle en est votre vision aujourd’hui ?

J-P Pelras : Le syndicalisme agricole FNSEA et JA auquel j’ai appartenu n’a pas suffisamment défendu les productions du Midi de la France et plus globalement les secteurs fruitiers, légumiers ou viticoles Français. Dans les P-O, en 30 ans, nous avons perdu les deux tiers des producteurs et plus de la moitié des surfaces cultivées. Ce qui n’est pas le cas des grandes cultures, notamment au nord de la Loire. Tout simplement car les premiers ont subi de plein fouet le dogme des importations avec une main d’œuvre encore actuellement payée 14 euros de l’heure de ce côté-ci des Pyrénées contre 7 euros en Espagne ou 5 euros par jour au Sahara occidental. Les chances de s’en tirer après 1992 et l’entrée de l’Espagne dans la CEE était comptablement et mécaniquement inenvisageables. Sachant d’autre part que, depuis des décennies, nous exportons des céréales vers les pays du Maghreb. Destinations tributaires de l’irrigation qui, au moins jusqu’au Printemps arabe, ont bénéficié des « Eaux virtuelles de la Méditerranée », alors que nous importons des fruits et des légumes permettant de fixer les populations au sud de l’Europe. Il ne faut pas être grand clerc pour analyser la perversité de ces mécanismes.

 

Gavroche : Dans vos éditos, vous dénoncez l’agribashing, ou encore l’« agropeople ». Que pensez-vous des discours politiques et médiatiques actuels par rapport à la réalité du monde agricole ?

J-P Pelras : Il existe une forme de démagogie dans le propos de ceux qui savent forcément ce qui est bien pour nous. Alors que, vedettes médiatiques ou enfants gâtés d’un entre soi consumériste, ils ne savent pas toujours ce qui est bien pour eux. Quelqu’un qui gagne des millions en tournant des films ou en défilant pour un créateur de haute couture peut-il avoir une ingérence dans le modus vivendi du paysan ou de n’importe quel citoyen confronté aux vicissitudes de fin de mois. C’est cette indécence de plus en plus prégnante que je dénonce dans mes publications. J’en arrive à suspecter une forme de malhonnêteté chez certains promoteurs de l’agribashing qui surfent opportunément sur une vague politiquement correcte.

 

Gavroche : Avec quel œil regardez-vous les innovations technologiques dans l’agriculture ? Pensez-vous qu’elles peuvent apporter de réelles solutions par rapport au changement climatique ?

J-P Pelras : Ces innovations, si elles prennent en compte les enjeux environnementaux doivent aussi répondre aux besoins alimentaires. Il s’agit d’un double challenge souvent très compliqué techniquement. Le monde agricole a toujours su s’adapter aux exigences sociétales. Il a su nourrir les populations en luttant contre le caprice des éléments. C’est cette notion qui m’interpelle, plutôt que celle visant à le designer systématiquement comme étant responsable du réchauffement climatique. Si une solution s’impose pour préserver l’environnement et faire évoluer certaines pratiques agricoles, elle doit, loin des théories idéalistes, venir de projets hybrides émanent non pas de promesses politiciennes, mais d’une recherche industrielle et scientifique disposant de délais raisonnables et de moyens adaptables et adaptés au contexte économique.

En expérimentant du nouveau matériel végétal et en adaptant l’outil de production, l’agriculteur apporte déjà des réponses pour demain. Il faut tenir compte de ce coefficient d’adaptation qui conditionne le devenir ou l’arrêt des activités agricoles. Tout le reste n’est que littérature.

Gavroche : Un message pour les consommateurs que nous sommes ?

J-P Pelras : Achetez des produits français ! Et laissez travailler nos paysans.

Propos recueillis par Cécile Auriol

               

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