« Tempesta perfetta »(1) déclarait en un tweet Gentiloni, commissaire européen aux affaires économiques, à propos de la crise politique qui s’est amorcée en Italie. La formule semble opportune tant les nuages s’amoncèlent et couvrent peu à peu le ciel bruxellois : récession, fragmentation (2), inflation et dépréciation de l’euro. La démission de Mario Draghi sera-t-elle le chant du cygne de la monnaie unique ?
Le jeudi 21 juillet, le premier ministre du gouvernement italien Mario Draghi a présenté sa démission au président du Conseil Sergio Matarella. A la tête d’une vaste coalition d’union nationale rassemblant le Parlement à ses deux extrémités depuis janvier 2021, l’ancien gouverneur de la BCE a souffert de l’implication de son gouvernement dans la crise ukrainienne. La livraison d’armes à Kiev lui avait valu les critiques du parti anti-establishment Cinq Etoiles, rapidement rejoint par la droite conservatrice de Berlusconi et la Lega de Salvini. Le vote de confiance présenté devant la Chambre des députés mercredi 20 juillet s’est soldé par un échec cuisant actant la décision du Premier ministre de démissionner.
L’après-Draghi a de quoi faire trembler la Zone Euro. En effet, malgré le caractère évidemment fragile de sa base parlementaire, l’ancien banquier permettait à Rome de montrer patte blanche face aux marchés financiers ainsi que devant la Commission. Le technocrate diplômé du prestigieux MIT avait la capacité de rassurer les investisseurs et pouvait également se targuer d’avoir dirigé un des pays de l’UE avec la plus forte croissance dans les mois passés.
L’Italie : la Grèce en pire ?
Le contexte économique et financier italien a pourtant de quoi faire peur : inflation galopante, récession présagée, mais aussi perte de confiance des marchés dans l’euro. En effet, la remontée des taux d’intérêt Outre-Atlantique et la perspective d’une forte récession en Europe ont fait fuir les capitaux vers les Etats-Unis. La BCE, incapable de suivre la politique rigoriste de la Federal Reserve, ne peut maintenir l’euro à flot. La monnaie unique a vu sa valeur fortement se déprécier par rapport aux autres devises, dont le dollar, jusqu’à atteindre la parité avec ce dernier.
L’après « Whatever it takes » se révèle être un casse-tête ardu pour les banquiers européens.
La BCE joue à un jeu aux règles très complexes qu’elle a de fortes chances de perdre. La banque de Francfort ne peut en effet pas augmenter les taux d’intérêts sans risquer de couler les pays endettés du Sud, dont l’Italie. Face à une réaction volontairement plus faible de la Banque européenne, les capitaux pressés par les perspectives de récession se retranchent peu à peu vers le dollar. L’après « Whatever it takes » (3) se révèle être un casse-tête ardu pour les banquiers européens. Première alerte lors de la hausse des taux d’intérêts décidée par la banque centrale américaine en juin : le spread italien (4) a explosé, laissant planer le risque d’un retour d’une crise de la dette.
Alors que la situation financière italienne était déjà précaire, la démission de Draghi rajoute de l’huile sur le feu. Pour ne rien arranger, une nouvelle augmentation de 75 points des taux d’intérêt aux Etats-Unis va mettre davantage la pression sur la BCE qui peine pour l’instant à recouvrer sa crédibilité.
La situation n’est pas sans rappeler le cas de la Grèce une dizaine d’années auparavant. Il a ainsi semblé que l’ombre du Colisée avait un air d’Acropole pendant quelques heures sur le marché de la dette italienne. L’Histoire se répètera-t-elle ?
Pas en avant ou pas en arrière pour l’euro?
« Delors et Lamy (5) savaient pertinemment au moment de la création de l’euro que ce dernier est en lui-même instable, et que cette instabilité ne pourrait être résolu que par une potentielle union fiscale. » déclare dans un entretien accordé à Gavroche Rawi Abdelal, spécialiste de la mondialisation et professeur à la prestigieuse Harvard Business School.
Sans union fiscale, l’euro ne survivra pas. (…) Alors continuerons nous d’avancer ou bien sonnerons nous la retraite ?
« L’union fiscale nécessite un assentiment démocratique plus important encore que tout ce qu’il a pu être demandé jusqu’ici de façon déclarée ou tacite aux peuples européens. Demander aux contribuables allemands ou français de payer plus d’impôts pour les Grecs ou les Italiens est une chose autrement plus difficile qui touche à une réalité matérielle palpable. »
« Les Allemands, dans l’immédiat, ne consentiront pas à payer la dette de pays comme l’Italie pour les conserver au sein de la Zone Euro. Je pense en revanche qu’il y a parmi les élites politiques le consensus qu’il faut contrôler le spread italien. Il faudra donc trouver un moyen d’agir qui ne nécessite pas le consentement de la majorité des citoyens des pays du Nord. Il s’agira de garder le système assez stable en attendant un nouveau consensus pour une union monétaire et économique plus pérenne. »
La BCE en apnée
Seule solution anti-fragmentation en vue pour Lagarde : le « Whatever it takes » flexible, c’est-à-dire le soutien de la BCE pour les pays du Sud. Le gouverneur de la Bundesbank Joachim Nagel, sous pression outre-Rhin, s’est évidemment étouffé : de quel droit verserait-on des euros qui est aussi la monnaie allemande pour racheter des titres de dettes de pays « financièrement irresponsables » ?
Si le blocage de l’Allemagne seule peut être surmonté, les solutions provisoires anti-fragmentation avancées par la BCE mettent tout de même l’Allemagne et l’Europe du Nord, plus frileuses en matière de politique monétaire non-conventionnelle, en position de force. Ces pays pourraient exiger des garanties de politiques budgétaires importantes aux pays du Sud en échange de leurs accords, comme cela avait été le cas avec la Grèce.
Quelles perspectives pour les italiens ?
Pour l’Italie, il n’y a plus sur le long terme que deux solutions : le pas avant (l’union fiscale) ou bien le pas en arrière (la sortie de l’union, ou a minima de l’euro). Le pas en avant dépendra de l’Europe tout entière, le pas en arrière de sa seule souveraineté nationale. Si « la Grèce avait un taux d’endettement gigantesque, elle ne représentait qu’environ 1.5% du poids économique de la Zone Euro » souligne Abdelal, et on ne peut pas en dire de même de l’Italie. Une sortie de l’euro de la part de l’Italie pourrait donc mettre un terme à l’aventure de la monnaie unique.
Politiquement aussi, plusieurs questions sont à l’ordre du jour en Italie. A la suite de sa crise sans précédent, les Grecs avaient porté Siryza au pouvoir et avaient voté pour le refus du plan de sauvetage de l’Union sans être écoutés par leur gouvernement. De la même manière, l’année écoulée a vu la popularité du parti d’extrême droite ouvertement fasciste Fratelli d’Italia explosée, il est dorénavant dans les sondages le premier parti d’Italie crédité à environ 23% des intentions de votes pour les élections à venir. En parallèle, les partis la Lega et Cinq Etoiles ont perdu une partie de leur électorat en conséquence de leur soutien au gouvernement.
Alors que tous les indicateurs étaient déjà au rouge pour la monnaie unique et pour l’Italie, la démission de Draghi vient jeter un froid supplémentaire sur les marchés et sur la BCE. Peu importe son successeur, il ne jouira pas de la confiance qui était donnée à Super Mario par les élites européennes et italiennes. L’Italie va subir de plein fouet l’augmentation des taux d’intérêts aux Etats-Unis et malgré les plans anti-fragmentation provisoires de la BCE la question de l’avenir l’euro demeure. Elle nécessitera, en l’état actuel de la construction européenne, un pas supplémentaire. Reste à savoir s’il s’agira d’un pas vers l’avant ou d’un pas vers l’arrière…
Jules Cavenaghi
Remerciements sincères à M. Abdelal pour nous avoir accorder un riche entretien qui nous a grandement aidé pour la rédaction de cet article.
(1) « Tempête parfaite »
(2) La « fragmentation » désigne l’augmentation des écarts de taux d’intérêts entre les différents pays de la Zone Euro
(3) Le « Quoi qu’il en coûte » désigne la politique de soutien à l’euro entamée par Draghi alors gouverneur de la BCE lors de la crise des dettes souveraines. L’Italien avait inauguré une politique non-conventionnelle de rachat massif des titres de dettes européens appelé « quantitative easing »
(4) Jacques Delors, président de la Commission européenne est l’artisan principal de l’union monétaire. Pascal Lamy était son proche conseiller.
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