« Le vrai problème c’est que l’UE n’a jamais aimé EDF » – entretien avec Julien Aubert

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Julien Aubert est haut-fonctionnaire, Vice-président de LR et fondateur d’Oser la France. Souverainiste convaincu, il a pu travailler sur les questions énergétiques. Nous lui avons posé des questions sur les enjeux du secteur de l’énergie, en lien avec l’industrie et la transition écologique.


Gavroche : Pourquoi la thématique de l’énergie est aussi centrale pour vous ? Pourquoi occupe-t-elle une place aussi importante dans votre parcours parlementaire ?

Julien Aubert : Par pure coïncidence. Alors que j’étais conseiller à l’Élysée, sur l’Union pour la Méditerranée, une grosse partie du travail méditerranéen était sur les énergies renouvelables, et notamment le plan solaire méditerranéen. J’avais été un peu familiarisé avec le sujet des ENR à l’époque. Quand je suis arrivé au Parlement, j’ai pris la commission « Aménagement du territoire, écologie » pour des questions agricoles. Au bout de trois-quatre mois, on m’appelle et l’on me propose de rédiger un rapport sur les déchets nucléaires. Je réponds « non » au motif que je n’y connaissais rien et parce que j’étais député d’une zone rurale. On argumente alors en mettant en avant le projet ITER développé de l’autre côté de ma circonscription. J’ai fini par accepter et rédiger mon rapport sur les déchets nucléaires. Deux mois après cela, un collègue m’arrête dans les couloirs de l’Assemblée pour me féliciter. Sans comprendre, il m’explique « tu as été nommé président du groupe de travail sur les énergies ». J’ai essayé d’enquêter et je n’ai jamais su comment mon nom avait atterri là. Je croise un autre collègue deux jours plus tard : « Quelle chance tu as Julien, président du groupe de travail sur les énergies ! », « Oui et alors ? », « C’est le groupe de travail le plus prestigieux de l’Assemblée nationale, il y a une centaine de députés, il y a des gens qui ont rêvé toute leur vie d’être président de ce groupe ». Et c’est comme ça que j’ai commencé à recevoir pour comprendre le secteur. En discutant avec eux, je prends conscience que Ségolène Royal prépare un texte sur le nucléaire, que la droite n’a plus d’interlocuteur, pas de position (à part le Grenelle de l’Environnement) et que la droite n’a rien préparé pour le texte qui arrivera 6 mois plus tard. Je propose alors un contre-débat sur la transition énergétique. Je l’organise avec Daniel Fasquelle, nous recevons 200 experts et nous élaborons une doctrine. Je suis alors devenu l’orateur sur la loi Royal. J’ai ensuite été orateur sur tous les sujets liés à l’énergie. Durant mon deuxième mandat, j’ai décidé de m’intéresser davantage aux ENR, ayant défendu durant tout mon premier mandat le nucléaire. 

Ma chance c’est que sans le vouloir je me suis positionné sur le sujet politique majeur. Ma malchance c’est que j’ai quitté le Parlement au moment où mes dix ans de travail m’auraient permis d’avoir une position centrale. J’ai travaillé sur tous les textes. Et j’ai prévenu en 2015 Mme Royal qu’elle faisait une bêtise

Gavroche : La crise énergétique telle que ressentie en France aujourd’hui semble participer à une forme de sentiment d’impuissance politique. Quelles sont les conséquences selon vous de l’augmentation des coûts énergétiques et quelles conséquences sociales à court-moyen terme ?

J. Aubert : Jusqu’ici la concurrence s’est faite sur les prix de production, sur un fond d’énergie peu chère et de sous-investissement dans certains pays. Désormais le sujet majeur sera celui du coût de l’énergie, en tout cas pour la compétitivité des entreprises et la compétitivité des nations. Cela explique par exemple le problème de l’Allemagne et la bonne santé relative de la France même s’il ne faut pas mettre sous le boisseau les problèmes de sous-investissements chroniques. Tant que l’on ne trouvera pas une réponse à l’équation impossible qui est “Comment avoir une augmentation continue de la demande d’énergie liée notamment aux usages numériques et en même temps décarbonée, et en même temps à bas coût” l’énergie sera un sujet central. Le problème c’est que la transition énergétique c’est une transition qualitative : vous choisissez de dépenser plus pour vivre mieux (ou pareil). Ce constat pose un problème social que l’on voit par exemple sur l’alimentation : vous avez de l’argent, vous vous achetez le jambon bio trois fois plus cher que le produit premier prix moins qualitatif. Vous avez le choix. Avec l’énergie les gens n’ont pas le choix, il n’y a pas de substitution. En alimentation, si le porc est trop cher et bien vous achèterez de la dinde. Et si la dinde est trop chère vous ne mangerez pas de viande. Pour l’énergie, si vous ne vous chauffez plus, votre situation devient compliquée. Ce problème social va aller en s’accroissant, parce que l’on s’est reposé jusqu’ici sur les effets du verbe parce que l’on a dit n’importe quoi, voté n’importe quoi, fait n’importe quoi. Comme nous sommes un pays riche, nous n’avons pas vu l’addition. Nous sommes désormais à la merci de la demande, d’un hiver très rigoureux, d’un problème sur une centrale, avec un autre pays compte tenu de l’interdépendance. La question est maintenant celle du rythme d’adaptation des sociétés.

Gavroche : Oser la France dans son livret bleu réserve une sous-partie à la question électrique. Un chapitre “France-Allemagne, divorce électrique”, développe l’idée que la question énergétique et le marché européen résulterait d’un bras de fer entre la France et l’Allemagne. A partir de ce constat, pensez-vous qu’une politique énergétique commune est tout de même possible ? Quelles conséquences sur la place de la France si ce bras de fer venait à se pérenniser ? 

J. Aubert : Je ne crois pas énormément en la politique énergétique européenne. Il peut y avoir un marché européen, mais cela n’est pas une politique, c’est un enclos. Pour qu’il y ait une politique, il faut un accord sur les objectifs. Alors, nous sommes d’accord sur les objectifs de décarbonation, mais, comme nous ne partons pas tous du même point de départ ni des mêmes mix énergétiques, c’est très compliqué. D’autant que nous fonctionnons en économie ouverte, nos choix influent sur ceux des voisins. Par exemple, le fait que toute l’Europe se soit dotée d’éoliennes rend l’électricité plus variable, dépendante du vent et de facto complique la tâche du continent tout entier lorsque le vent tombe, et le matelas se trouve en France, dans les centrales nucléaires. Je crois que l’Allemagne va continuer à limiter au maximum les avantages compétitifs de la France dans la mesure où même si Berlin le souhaitait, ils ne pourraient revenir au nucléaire pour des raisons politiques. Si l’Allemagne refaisait demain du nucléaire, France et Allemagne auront le même intérêt et la politique européenne sera possible. Mais cela ne se fera pas à cause du poids de la gauche alliée aux écologistes et le bras de fer devrait continuer. 

Gavroche : La question culturelle, notamment en Allemagne, rentre-t-elle en jeu sur cette perception du nucléaire ?

J. Aubert : Lorsque les gens pensent nucléaire en France, il pensent Général de Gaulle, arme nucléaire, dissuasion, puissance de la France, indépendance nationale. Quand vous pensez nucléaire en Allemagne, vous pensez Seconde Guerre mondiale, Hiroshima, défaite, risque. Si l’Allemagne a fait le choix de la puissance économique et pas de la puissance militaire c’est à cause de l’histoire que l’on connait et cela fait qu’elle ne peut pas adopter la psyché française qui consiste à dire “l’Allemagne doit développer l’arme nucléaire et tenir tête à la Russie”. Ces traces sont lointaines. Les japonais eux ont fait le choix du nucléaire civil bien qu’en ayant été victimes. Ils pourraient néanmoins se doter en six mois de l’arme nucléaire.

Gavroche : Vous travaillez à l’Élysée en 2011, durant la mise en place de l’ARENH, sur d’autres thématiques, mais comment avez-vous vécu la mise en place de ce dispositif et quelles conséquences cela a-t-il eu sur EDF ? 

J. Aubert : J’ai surtout travaillé sur les finances, en second rideau. Je cherchais de l’argent pour financer les projets solaires. Ce qui est certain, c’est que l’ARENH a conduit à divertir la rente monopolistique liée aux investissements réalisés pour le nucléaire, et cette rente qui aurait pu être réinvestie dans un nouveau parc a été utilisée pour financer des acteurs qui n’ont pas produit d’électricité mais qui ont principalement suscité un marché factice fondé sur la commercialisation d’une électricité produite par les autres. Je pense que c’est un système non libéral, relativement stupide, et trop administratif pour pouvoir évoluer correctement. C’était sans doute aussi le prix d’accords avec l’Europe qui voit EDF comme une très mauvaise chose. Le vrai problème de l’Europe c’est qu’elle n’a jamais aimé EDF. Elle n’aime pas ce géant monopolistique étatique, capable de bouffer par la rente du nucléaire les autres acteurs européens. Ce faisant elle a fait un contresens historique, c’est que dans le marché énergétique mondial, on peut être un géant européen ou national et être un nain mondial.

Gavroche : Nous arrivons à l’aboutissement de négociations sur la réforme du marché de l’électricité, avec ce nouvel outil qui serait le CFD (contract for difference) et la possibilité pour le parc nucléaire français de s’auto-investir en cas d’inflation du prix de l’électricité. Selon vous, cela constitue-t-il une résolution totale du problème posé tel que posé par l’ARENH et le marché de l’électricité ? S’agit-il d’une victoire française ou d’un match nul ? 

J. Aubert : Il faut d’abord voir l’articulation entre nos négociations au niveau européen et ce que l’on a négocié au niveau français pour la rémunération du parc nucléaire d’EDF, tout en sachant qu’il faut que cette partie française soit adoubée par la Commission. Les CFD sont plutôt une bonne idée mais l’une des difficultés tient au fait que par définition le nucléaire n’est pas un marché, les opérateurs sont publics, et la question de la rémunération ne comprend pas exclusivement les coûts d’exploitation mais couvre aussi des coûts qui vont bien au delà de ce qu’une entreprise privée ou public opérant dans un domaine privé pourraient supporter, donc fondamentalement c’est une activité régalienne. Vous pouvez essayer de l’encadrer avec des dispositifs, mais l’on butera toujours sur le fait que ce n’est pas une énergie comme les autres. Une énergie qui peut vitrifier la moitié de l’Europe ne peut pas être une énergie comme les autres. Ne serait-ce qu’avec les choix économiques qui touchent à la sécurité et la sûreté : vous ne pouvez pas vous permettre de prendre de risque, donc vous faites les investissements nécessaires et cela change le modèle économique.

Gavroche : Vous avez présidé en 2019 la commission d’enquête sur l’impact économique, industriel et environnemental des ENR, ainsi que sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique, quelles conclusions avez-vous pu en tirer et quelle influence ces travaux ont-ils eu sur votre vision de l’avenir énergétique français ? 

J. Aubert : La conclusion, c’est qu’il n’y avait aucune cohérence dans la politique énergétique française. On ponctionne d’un côté le contribuable de dizaines de milliards d’euros en lui disant “t’inquiètes c’est pour ton bien c’est pour la planète”, on s’aperçoit qu’en réalité une partie seulement va à la politique énergétique, que cela servait à financer des ENR qui ne changeaient rien à l’équation carbone de la France, c’est la fameuse phrase de Jean-François Carenco (président de la CRE de 2017 à 2022) “Nous n’investissons pas dans les ENR pour lutter contre le réchauffement climatique”. Donc, premier mensonge lorsque l’on dit au au gilet jaune à la pompe “la fin du mois est dure d’accord mais sinon c’est la fin du monde”, non l’argent ne va pas à la lutte contre le CO2 et la fin du monde. Il y avait aussi un vrai problème lié à la transparence des coûts. Par exemple, les certificats d’économie d’énergie, c’est un prélèvement sur la pompe au carburant. Ce n’est pas un impôt mais une obligation pour celui qui vend de l’essence de financer les travaux thermiques qui sont ensuite commercialisables. On se rend compte aussi que la transition énergétique a un biais anti-social. Par exemple, ceux qui ont accès au crédit d’impôt sont ceux qui en payent. En revanche, ceux qui payent la transition énergétique et qui sont au SMIC ou au RSA payent tout de même cette transition. On s’aperçoit ensuite que cette politique, en plus de ne pas être très écologique, était absurde sur le plan de la stabilité du système électrique. La théorie du foisonnement, qui consiste à dire “vous inquiétez pas tout le monde fait des éoliennes mais la production s’équilibre” ne fonctionne pas : “lorsqu’il n’y a pas de vent en Espagne il n’y a pas de vent en Allemagne”. Cela pose un problème : plus il y a d’éolienne, plus le risque météorologique a un impact sur le réseau. On a appliqué cette politique, allant vers le gouffre, au nom d’une idéologie, en klaxonnant et en disant “vous inquiétez pas ça va bien se passer” alors que personne n’avait de certitude. Macron a fini par donner un coup de volant au dernier moment en s’apercevant avant que nous allions dans le mur. De plus, l’éolien est une politique qui présente tous les désavantages du jacobin et tous les désavantages du girondin : le jacobin décrète à Paris que mille éoliennes doivent naître et après c’est le far-west, des opérateurs privés démarchent, sans organisation, dans l’opacité.

Gavroche : Il y a aussi l’établissement de zones d’accélération d’ENR qui sont déterminées par les collectivités locales. 

J. Aubert : Cela n’existait pas, c’est la nouvelle loi. En fait, vous vous apercevez que la politique énergétique est assez caractéristique en miroir de ce que la France est devenue. C’est à dire un pays qui était très jacobin, très centralisé et qui à un moment donné a voulu se doter d’une espèce de “simili-décentralisation” en brouillant un peu son système habituel, cacophonique. Et donc le système jacobin ne fonctionne pas, et cette cacophonie ne fonctionne pas non plus mais on paye les deux. Tout cela produit un système sous-optimal avec le risque aujourd’hui est de se retrouver avec une balance commerciale pourrie, des gens pas contents, une instabilité énergétique, un prix de l’énergie élevé et pas d’emplois.

Gavroche : Par ailleurs, la réforme du marché de l’électricité prévoit la possibilité accrue de fournir localement l’électricité par des sources renouvelables. 

J. Aubert : Ça c’est un moyen de répondre aussi à un problème de l’éolien qui est présenté faussement comme une forme d’énergie de proximité. Parce que, quelque part, dans la construction politique, le nucléaire c’est un peu la source de production centralisée tandis que l’éolien produit près de chez vous. Sauf que cette électricité est produite à côté de votre village puis exportée. Ils essayent de créer ce lien, dans les faits, on a grandement besoin de solidarité nationale sur l’énergie. Puis physiquement, cela ne se passe pas comme ça, les électrons une fois produits sont immédiatement dispersés.

Gavroche : Pour se pencher un peu plus sur la question de la souveraineté énergétique en tant que telle, d’après vous est ce que la mutation des modes de production, l’électrification et la fin de la voiture thermique avec en parallèle le lancement d’une forme de réindustrialisation depuis quelques années en France renouvelle l’importance de la notion de souveraineté énergétique voire la transforme ? 

J. Aubert : Déjà, il faut faire attention, parce que la réindustrialisation va conduire à augmenter les coûts puisqu’au lieu d’engager des chinois qui produisent une voiture à l’autre bout du monde sans payer de taxe carbone, vous allez avoir une usine près de chez vous avec des salariés français dont les salaires seront plus importants, qui va émettre du CO2 et qui sera taxée. Ça veut dire que concrètement les prix vont augmenter.

Deuxièmement, ce qui me frappe c’est qu’on fait comme si c’était juste un problème électrique. Non c’est une question de pouvoir d’achat déjà. Il y a le problème du réseau, il y a le problème des semi-conducteurs, le problème des métaux rares, du lithium. Considérons que tout ceci n’est pas un problème on en revient à la question de la souveraineté énergétique. Là on est sur le volet quelque part du problème électrique qui est celui de stocker l’électricité que vous produisez. Parce que quand vous avez de l’éolien, qui produit sur le réseau, et qu’une voiture le stocke, c’est un stockage diffus. Donc c’est intéressant couplé avec de l’énergie renouvelable. Maintenant ça suppose que vous ayez autant de production que de consommation. Or il n’y aura pas que les transports, on a le chauffage, le numérique… En réalité, tous les gens qui nous disent que la demande électrique va augmenter, est ce qu’on va être capable de répondre à la demande ? On en revient à la question de souveraineté énergétique.

Gavroche : Pour rester sur les questions de souveraineté énergétique, la France peut-elle ou doit-elle s’appuyer sur ses géants industriels de l’énergie (Total ou encore Engie) pour asseoir et favoriser cette souveraineté ? 

J. Aubert : D’abord il faudrait s’entendre sur ce que c’est la souveraineté énergétique. Ma définition de la souveraineté énergétique c’est “d’être en capacité, pas forcément de produire sur notre sol, mais d’absorber les chocs de la mondialisation”. C’est à dire que si à un moment donné, vous avez un problème de centrale nucléaire, d’être capable de faire tourner votre économie, vos usines, sans que les entreprises s’en aperçoivent. Ça veut dire que demain si vous êtes dépendants en essence et en électricité et que vous avez une crise de l’or noir et que l’essence est plus chère, il faut que votre système soit en capacité d’absorber ce choc. C’est donc en quelque sorte la vulnérabilité du système. C’est le théorie de Joseph Nye et de Robert Keohane  de 1977 “Power and Interdepence” qui souligne l’importance de résister aux chocs asymétriques et de la mondialisation. Pour moi c’est ça la souveraineté énergétique.

Dans ce système là, les grandes entreprises que vous citez ont fait des choix différents. Engie par exemple a compris que plus on développait les énergies renouvelables plus on avait besoin de gaz. Donc il a massivement investi dans le renouvelable. Un choix qui est en réalité antinomique pour EDF par exemple, le nucléaire n’a pas besoin, ou beaucoup moins, d’énergie fossile. En revanche plus vous développez les énergies renouvelables plus vous pouvez déstabiliser le modèle économique du nucléaire. Ainsi Engie a fait le choix du gaz et des énergies renouvelables, Total a aussi fait ces choix.

EDF c’est une entreprise publique en revanche Total ou Engie ne répondent pas aux directives de Bercy. Alors effectivement auparavant on disait que Total était le ministère du pétrole, Engie/GDF le ministère du gaz et EDF le ministère de l’électricité aujourd’hui c’est pas vraiment ça. Je pense que l’Etat doit être clair sur le mix énergétique qu’il souhaite et faire en sorte que ces acteurs soient en capacité d’accompagner cette transition.

Gavroche : On a parlé toute à l’heure de la question des batteries, on aimerait maintenant parler des métaux qui sont en lien direct avec ces dernières. Il y a eu récemment l’annonce de la création d’un « Fonds métaux critiques » dans le cadre du plan France 2030, il y a eu également le lancement d’un nouvel inventaire géologique par le Bureau de Recherche Géologique et Minière (BRGM) avec un focus sur les métaux en lien avec la production des batteries. Est ce que vous êtes en accord avec cette tendance au retour à l’extraction minière ? La France doit-elle exploiter son sol ET ses fonds marins (ce qui est exclu pour le moment) afin d’assurer sa souveraineté ?

J. Aubert : Ça c’est une excellente question, parce que c’est un non-dit de la politique. Lorsque l’on parle des métaux rares et notamment de leur concentration en Chine : c’est pas qu’il y en a seulement en Chine, ça veut juste dire que ce sont eux qui les exploite et pas les autres. Ce que j’ai toujours dit, et que je dis également pour le pétrole et le gaz de schiste, c’est que l’ignorance n’éclaire pas le choix politique. La première étape ce serait de quantifier ce que nous avons dans le sol. Il faut qu’on sache si on est le Qatar du gaz de schiste ou le Liechtenstein du gaz de schiste. Si on est le Liechtenstein : on peut s’arrêter là. Si on est le Qatar : on est pas obligé de l’exploiter mais on sait que ça existe. On est passé d’une approche qui est totalement idéologique qui dit qu’il faut s’en passer. Il faut s’en passer jusqu’au jour où les gens ne seront pas contents parce qu’ils ne peuvent pas vivre normalement.

En tout cas pour les ressources minérales je pense qu’il faut, et c’est le BRGM qui s’en charge, quantifier. Pareil pour les océans marins, sauf lorsqu’il s’agit d’océans avec des récifs coralliens par exemple. L’important c’est de cartographier et d’avoir une idée très claire sur ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire. Après on fait des choix politiques avec des calculs coûts-avantages. Parce que l’exploitation a toujours des désavantages, on le voit sur les fonds marins, on le voit sur la question de la réouverture des mines. Aujourd’hui si on fait le choix de la réindustrialisation on fait aussi le choix de la pollution. Demain, si toutes les voitures vendues dans l’Hexagone sont produites dans l’Hexagone et bien ça va polluer. Si on doit demain produire tout le porc qu’on mange, et bien ça va sentir mauvais et il y aura forcément des rejets, bref de la pollution. C’est pour ça qu’aujourd’hui la société veut en quelque sorte le beurre et l’argent du beurre.

Gavroche : Vous ne croyez pas en l’industrie verte ?

J. Aubert : En fait, je me méfie du mot “vert”. “Vert” dans l’esprit des gens, c’est les petites fleurs, ça sent bon, et puis on voit arriver une éolienne : un truc qui fait 290m de haut et qui n’a rien d’une petite fleur. 

Donc que l’industrie soit plus vertueuse qu’avant, c’est certain. Mais les gens ont perdu l’habitude sociale de l’industrie, c’est pour cela qu’il y a une question d’acceptabilité sociale. Par exemple, dans les années 60, une majorité de Français étaient des non-salariés, ils étaient le plus souvent indépendants. Quand le Président de la République leur parlait de bénéfices, de charges, de recettes, de dépenses, c’était un univers mental que beaucoup de Français comprenaient : leurs pères étaient boulangers etc. Aujourd’hui vous avez des fonctionnaires ou des salariés qui comprennent beaucoup moins comment une entreprise fonctionne.

Les mineurs, quand vous avez été élevé dans un monde où votre père et votre oncle sont des mineurs et bien la mine ça fait partie de votre vie. Quand vous avez grandi dans un lieu sans mine et qu’on vous dit qu’on va en installer une : c’est quelque chose d’exogène.

L’industrie a quitté l’imaginaire français depuis les années 80-90. Il y a eu des générations entières qui ne savent pas ce que c’est qu’une usine. De la même manière que vous avez ces Français qui s’installent à la campagne et qui découvrent que la vache et le coq font du bruit. Je pense que ces problèmes là on va les avoir. La tentation serait de décider de mettre ces usines là où ça gêne le moins de monde. Sauf que ça on l’a fait pour les éoliennes et ça crée plusieurs difficultés (transport, construction etc).

La question de l’acceptabilité sociale va être centrale donc ne faisons pas croire aux gens qu’industrie verte ça veut dire sans rejet, sans modification de l’environnement. La modification sera a minima visuelle.

Gavroche : Et selon vous comment fait-on justement pour réintroduire cette industrie dans l’imaginaire français ?

J. Aubert : D’abord la meilleure chose ça va être l’emploi. Parce que la particularité de l’industrie contrairement aux services c’est qu’elle peut se diffuser sur le territoire. Elle peut aller vite dans des petites villes. Je crois que les gens, surtout dans les territoires paupérisés, quand on va leur dire qu’on installe une usine : ils auront effectivement de la pollution mais l’emploi qui va arriver avec. Ça favorisera l’acceptation sociale. Il y aura évidemment des mécontents mais il faut faire des choix sur ce qui est stratégique : on a pas besoin de tout rapatrier en France. Le but c’est de rapatrier la production qui, en cas d’une crise internationale, comme le Covid sera nécessaire pour faire fonctionner le pays. On peut citer les médicaments par exemple. 

À titre personnel, je ferais d’abord une liste des industries qui doivent être présentes sur le territoire en cas de crise.

Gavroche : Nous arrivons au terme de cet entretien. On aimerait vous poser une dernière question avant de conclure : si vous étiez appelé pour devenir ministre en charge de l’énergie que feriez vous ? Quelles mesures prendriez vous immédiatement ? 

J. Aubert : Moi je proposerais la création d’un Commissariat à la planification énergétique qui aurait pour mission principale de faire ce que fait aujourd’hui RTE. C’est à dire d’être un incubateur de la vision prospective. Ce serait une vision économique, temporelle et géographique en essayant d’ordonner le jardin français en disant : premièrement il y a le nucléaire dont il faut décider l’implantation dont il faut planifier le retour à l’herbe, et surtout assurer une montée en puissance de la production semblable aux années 60-70. 

Deuxièmement, à côté de ce pilier nucléaire il faudrait contractualiser avec les collectivités territoriales qui veulent accueillir des énergies renouvelables, pour se mettre d’accord sur les quantités et sur les localisations de ces projets de manière à les accélérer. Quitte à ce que l’État prenne en charge toute la phase de négociation du terrain, purge tous les recours et ensuite fasse un appel d’offre afin qu’un concessionnaire vienne installer ses éoliennes et ses panneaux photovoltaïques. 

Ce serait mes priorités.

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