11 novembre 1918 : fin d’une guerre, début d’une autre

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Dans Les Conséquences politiques de la paix, Bainville(note en fin d’article) souligne qu’il arrive souvent qu’un vainqueur soit mécontent de la paix. L’histoire nous en donne des exemples frappants : la France lors de la guerre de Succession d’Autriche (« se battre pour le roi de Prusse ») ou la paix volée des Prussiens en 1815. Pourtant, jamais le mot « Paix » n’eut de conséquences aussi terribles que lors du Traité de Versailles de 1919, un genre de paix qui laisse tonner au loin le brouhaha des canons : « un armistice de vingt ans » (Foch).


L’Offensive des Cent-jours

En octobre-novembre 1918, l’armée allemande recule sur tout le front occidental. Les offensives du printemps ont échoué, les Américains peuvent débarquer en nombre et les contre-offensives Foch repoussent la ligne du front nord jusqu’en Belgique. Les retraites s’enchaînent et les tranchées se vident pour la première fois, laissant place à une nouvelle guerre de mouvement. L’Etat-major allemand, Ludendorff et Hindenburg, les héros de Tannenberg quatre ans plus tôt, envisagent l’armistice alors qu’une semaine auparavant, la défaite de Vittorio Veneto sur le front italien forçait l’allié austro-hongrois à la capitulation. Dès le 1er octobre, Ludendorff, d’après ses mémoires de guerre, prévient le gouvernement allemand de la débâcle à venir si l’armistice n’est pas demandé immédiatement : « La troupe tient pour le moment, mais la percée peut se produire d’un instant à l’autre ».

L’avancée si rapide des Alliés, qui contraste tant avec le bourbier funèbre que fut le front occidental jusque-là, ne peut que rappeler que la guerre demeure une affaire de morts : l’offensive de Meuse-Argonne, interrompue par l’armistice, laisse 35 000 français sur la terre mouillée de l’automne 1918. Le 11 novembre 1918, le jour de la paix, prend à lui seul la vie de 11 000 soldats de toutes les Nations engagées.

Une Allemagne qui n’a pas vu la guerre

Quatre jours plus tôt, à Rethondes, le maréchal Foch accueille dans un wagon aménagé la délégation allemande d’un « Qu’est-ce qui amène ces Messieurs ? » qui laissera, peut-être plus encore que la paix, un goût amer dans la bouche des diplomates allemands. L’armistice est signé le 11 novembre entre le pouvoir militaire français et le pouvoir civil allemand. L’État-major allemand ayant refusé d’endosser la responsabilité de la capitulation, c’est le diplomate Erzberger qui signa au nom de l’Allemagne les conditions de l’armistice.

L’armée française n’a pas posé un pied au-delà des frontières franco-belges et les généraux prussiens refusent d’assumer la défaite : les Allemands qui n’ont connu que la tranquillité bavaroise ou saxonne ne voient là qu’une défaite injuste, un coup de poignard dans le dos d’une armée allemande invaincue. Triste symbole d’une Germanie qui, malgré une armée à terre, prétend être debout : à Berlin fin 1918, Erbert, nouveau président de la jeune république allemande, clame aux généraux revenant du front : « Aucun ennemi ne vous a vaincu ! »

 27 % des 18-27 ans ont laissé leur vie dans les champs de la Marne, de la Meuse et de la Picardie.

Une France vainqueuse, vaincue

Le contraste frappe. Une ligne de désolation de 900 km de long, de la Manche à la frontière suisse, sépare désormais comme une nouvelle frontière naturelle l’Empire allemand de la République française. La France est la grande Nation la plus meurtrie du conflit, avec l’Empire russe et la Serbie, avec 1,45 million de morts et 1,9 million de blessés. 27% des 18-27 ans ont laissé leur vie dans les champs de la Marne, de la Meuse et de la Picardie. De grandes franges orientales de son territoire sont dévastées, de plusieurs villes (Amiens, Bar-le-Duc, Verdun) il ne reste que de maigres ruines, les Pompéi d’un Vésuve de « fer et de sang ».

De l’intransigeance à la reculade

Les négociations qui s’ouvrent à partir de janvier 1919 amènent de grandes espérances dans tout le territoire. La « Der des Ders » doit permettre à la France de se prémunir d’une nouvelle agression de l’Allemagne. Si, à l’origine, les Alliés pensent convenir à plusieurs exigences de Clemenceau, Premier ministre en place, afin d’assurer la sécurité de la France à l’avenir, ils se ravisent vite. Lloyd Georges, qui comptait bien « presser le citron jusqu’à en faire sortir les pépins » au début des négociations, voit son attention prise par un tout autre problème. En effet, au-delà de la jeune Pologne, les rouges gagnent du terrain, le mouvement spartakiste prend de l’ampleur en Allemagne, et en avril 1919, une république soviétique éphémère proclame son indépendance à Munich.

« Comment allons-nous nous défendre face aux bolsheviks ? »

La peur rouge fut une raison majeure du ménagement de l’Allemagne par les bourgeoisies nationales. La lutte contre les soviets et les spartakistes furent même utilisées comme argument dès les négociations de 1918 par un diplomate allemand qui s’écria face aux exigences françaises : « Pourquoi ! Nous sommes perdus ! Comment allons-nous nous défendre face aux bolsheviks ? » À ces facteurs s’ajoute bientôt une peur toute anglaise d’une nouvelle domination française sur le Vieux Continent et une volonté toute américaine d’apporter une paix durable à peu près partout où les « boys » posent leurs pieds. Wilson arrive naïf à Versailles, ses 14 points près du cœur, et Lloyd George s’en accommoda bien pour sauver l’Allemagne de l’encombrant Foch. Le premier ministre présenta son « traité de paix moral et juste » devant le Parlement britannique et pour Wilson, la Société des Nations protégerait la France, pas l’annexion du Rhin.

Face aux pressions internes, aucune des grandes Nations alliées n’est en mesure de maintenir ses divisions sur le front occidental pendant toute la durée des négociations. Clemenceau savait que plus la démobilisation avançait, plus l’avantage français dans les négociations s’étiolait : lorsque britanniques et américains retourneront chez eux, ce serait « 75 millions d’Allemands contre 40 millions de Français ».

« Il ne manquera que l’occasion et l’homme pour mettre ce militarisme en mouvement. »

Un traité « pas fameux » (Clemenceau)

Au terme du traité, l’Allemagne est condamnée à payer d’importantes réparations mais qui ne seront, d’une part, jamais comparables en proportions à celles versées par la France en 1815 ou 1873 et, d’autre part, jamais payées. On l’ampute de franges importantes de son territoire (Alsace, parties de la Prusse orientale) mais le principal demeure puisqu’elle reste unie. Pire : autour d’elle se dressent de nouveaux Etats faibles et instables (Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne) et qui sont toujours peuplés d’Allemands. Ainsi, Bainville prédit dès les années 20 la tentation de l’annexion de l’Autriche et de la Bohème, peuplée de 3 millions d’Allemands. Alexandre Millerand, figure oubliée de la Troisième République et ami de Jaurès, avait lui aussi annoncé le danger qui pesait sur l’Europe.

Au terme de la guerre, l’Allemagne paraît même à certains égards plus forte et puissante que celle d’avant-guerre, car aux particularismes bavarois ou rhénans, aux anciennes identités ducales qui formaient en mosaïque autour du militarisme prussien, la jeune identité allemande s’est substituée un centralisme exacerbé et une Nation regroupée et unie dans la défaite. L’identité prussienne, militaire et bureaucratique, s’impose comme hégémonique alors qu’elle n’était dans le Deuxième Reich que centrale. Et Bainville annonce dans un éclair prophétique qui hantera vingt ans plus tard l’Europe : « Il ne manquera que l’occasion et l’homme pour mettre ce militarisme en mouvement. »


Le Traité de Versailles, parce que les anglo-saxons l’ont voulu ainsi, a sacrifié une France déjà meurtrie sur l’autel du libéralisme wilsonien et du réalisme britannique. La France devra payer, 20 ans plus tard, ce qu’elle n’a pu ou voulu imposer à l’Allemagne. La question du traité et du sort du Reich pose en bloc la question de l’arbitrage entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la nécessaire recherche d’équilibre géopolitique entre les puissances. Cet équilibre aurait-il justifié un démantèlement de l’Allemagne alors qu’il s’agit d’un Etat-nation ? Seul un démantèlement aurait pu éviter l’avènement du IIIème Reich ? En 1938, l’Accord de Munich révèle que le premier droit moral a prévalu sur l’équilibre politique. C’est cet arbitrage sans nuance, ni recul, qui mènera sans aucun doute à la catastrophe de 1940.

 

Jules Cavenaghi

 

Nota Bene : Jacques Bainville était un journaliste français et membre de l’Académie française. Né dans une famille républicaine, il fut dreyfusard avant de rencontrer Charles Maurras et de rejoindre le mouvement royaliste et nationaliste de l’Action Française. Il développe alors un antisémitisme avéré par plusieurs formules répugnantes. Il connaît une carrière prolifique dans différents journaux d’extrême droite (dont l’Action Française), mais aussi dans les Lettres. La postérité de ses ouvrages historiques est contestée : Marc Bloch critique un « manque de sérieux », une écriture pittoresque et des partis pris politiques, tandis que François Mauriac loue ses analyses. Le présent article s’appuie sur l’ouvrage Les Conséquences politiques de la paix, ouvrage qui, à lui seul, donne à Bainville un crédit qui s’est étendu à ses autres ouvrages, qui semblent plus critiquables.
La justesse de l’analyse de Bainville sur les conséquences du traité de Versailles nous semble suffisamment intéressante pour la partager, mais il convient de ne pas, à la Zemmour, encenser plus que nécessaire le personnage et son propos.

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