La gloire martiale ou le progressisme féministe, de quoi la France doit-elle être fière ?
Dans une ambiance anxiogène due à un possible reconfinement, et malgré toutes les craintes et les inquiétudes des Français à l’égard de leur vie quotidienne modifiée depuis quelque temps, les politiciens quittent leurs universités d’été pour faire leur grand retour sur les planches de la scène publique et tenter de capter à nouveau l’attention sur leur magnifique personne. La rentrée s’annonce mouvementée.
Ouvrons le bal, puisqu’il le faut, avec Nicolas Mayer-Rossignol, maire socialiste de Rouen qui a le mérite de faire revivre le monde social et politique avec une proposition inattendue et sujette à débat. Voici les mots tirés de son tweet : « J’assume la dimension symbolique forte de cette proposition. Il serait formidable que Rouen soit la première ville de France à accueillir, place de la Mairie, une statue ou une œuvre d’art dédiée à Gisèle Halimi, figure de la lutte pour les droits des Femmes. Le débat est ouvert ! » Mais la subtilité de l’acte féministe engagé est de remplacer la statue de Napoléon présente sur la place de la mairie de Rouen, par une œuvre rappelant le combat ou la personne de Gisèle Halimi.
La culture et le patrimoine enfin au cœur du débat citoyen
Tout d’abord, il faut reconnaître que l’idée du maire, bien qu’ayant l’air un peu improvisée, va initier à nouveau un débat politique et social portant sur autre chose que le coronavirus car la grande majorité des Français – politiciens compris – n’ont pas les qualifications ni le recul nécessaire pour argumenter sur l’issue d’une crise sanitaire. Le féminisme et son emprise sur la société moderne est, a contrario, une confrontation de point de vue aussi passionnante que nécessaire. Nous remercierons donc le maire de Rouen de nous permettre de nous exprimer sur son projet. Il serait d’ailleurs fort intéressant que le débat se solde par un vote démocratique des Rouennais. Cela permettrait de partager un peu de pouvoir de décision avec ceux sur lesquels il s’exerce la plupart du temps.
Ce débat a le mérite d’exister, et le dilemme culturel qu’il amène est sans doute le plus intéressant et le plus stimulant qu’il ait été depuis le début de la crise sanitaire. Les Rouennais ont donc la chance de pouvoir réfléchir sur un sujet qui concerne non seulement leur paysage urbain mais aussi l’Histoire et la manière de pratiquer l’Histoire en France.
Une grande part de politique
Ne nous laissons pas amadouer par le fond démocratique d’un tel projet : la forme a son importance. En effet, le maire de Rouen, comme la plupart des maires des grandes villes de France est un partisan et chacune de ses décisions va refléter l’idéologie de son parti. Nous arrivons au cœur du problème : les termes du débat. Il ne s’agit pas d’ajouter l’hommage à Gisèle Halimi quelque part à Rouen ou consacrer une place mais bien de déplacer la statue napoléonienne de la place de la mairie. La déplacer où, me demanderiez-vous ? Nous ne pouvons le savoir, le maire lui-même reste elliptique sur la question. Ce n’est pas sa priorité. Il faut savoir lire entre les lignes car sous le couvert d’un honorable débat citoyen, c’est la culture et l’Histoire de la France que l’on cherche à prostituer. Ces figures militaires qui ont fait la grandeur de la France à leur époque doivent-elles être mises au placard de l’Histoire ? Les valeurs dites virilistes comme le courage, la détermination mais également la violence et l’épanouissement dans le combat, ne sont plus en phase avec la société moderne pacifiée.
Ces figures militaires qui ont fait la grandeur de la France à leur époque doivent-elles être mises au placard de l’Histoire ?
L’écueil principal qui vicie le débat qui nous occupe est donc le caractère politique d’une telle action. L’idée politique derrière le débat culturel, c’est de remplacer une figure d’autorité qui fait la fierté des partis de droite, par une figure du militantisme. Cela fait écho au bras de fer permanent entre le Président Emmanuel Macron et les citoyens militants. Évidemment, le Maire de Rouen mesure parfaitement le message social qu’impliquerait le remplacement d’une statue par une autre. Au lieu de proposer une initiative de qualité, il ranime les querelles et l’animosité des différents bords politiques, sans doute pour rallier les troupes perdues lors de la dernière élection présidentielle. Au lieu de faire un choix citoyen, les habitants de Rouen vont faire un choix partisan. Le PS plutôt que d’accepter sa mort et de renaître de ses cendres, continue de trainer son cadavre empuanti sur le terrain de la gauche. En effet, cette décision polémique et bruyante d’ériger une œuvre dédiée à Gisèle Halimi à la place d’une autre a l’effet pervers d’obliger toute la gauche à se ranger sans nuance derrière le Maire de Rouen. Ils sont pieds et poings liés et ne peuvent pas se permettre de réfléchir avec sincérité à la question. C’est malheureusement le jeu cruel de la politique moderne et des accointances de partis qui exigent un soutien direct et remarqué ou une critique violente et tout aussi peu réfléchie.
Mais dès lors, comment empêcher une telle initiative d’être accaparée par les vieilles rivalités gauche-droite ?Les militants les plus proches de LR ou du FN vont parler d’une déconstruction de l’Histoire patriotique de la France et les progressistes de gauche se jettent sur l’occasion non pour remettre en cause l’héritage napoléonien mais pour défendre l’une des figures du féminisme activiste trop longtemps restée dans l’ombre de Veil et de De Beauvoir. Il eût sans doute été possible de conserver l’héritage de l’Histoire de France et d’en écrire la suite mais l’heure est au dilemme.
Défendons nos valeurs !
Mais alors quelle peut-être notre réponse à la grande problématique du remplacement de notre Histoire nationale ? Certains diront que c’était inévitable, que les nouveaux héros sont plus adorés que les figures anciennes issues d’un autre temps. Mais une statue de Gisèle Halimi aurait pu être érigée un peu partout dans Rouen sans que cela ne suscite autant de questions. C’est l’action de remplacer une Histoire par une autre qui se révèle être lourde de sens. C’est l’effroyable constat que Nietzsche avait déjà pu faire en son temps. « Dieu est mort », écrivait-il dans Ainsi parlait Zarathoustra. Cette formule célèbre soulignait le fait que la société moderne avait fini de placer tout son espoir métaphysique en Dieu et que toutes les valeurs religieuses devaient mourir avec lui. Pour Nietzsche, cela peut être un moyen de remettre l’homme au cœur de la civilisation et de le pousser à se dépasser car il comprend qu’il a en lui le potentiel divin. Malheureusement, l’Histoire a pris une tout autre tournure et les faibles ont pris les rênes de la société. Louis XVI était le Dieu devenu homme, Napoléon, lui, était l’homme devenu Dieu. Remplacer la statue de l’Empereur, c’est en réalité remplacer nos valeurs. Déconstruire les principes fondateurs de notre société pour la reforger à partir d’un nouveau métal. Mais Nietzsche écrivait dans La généalogie de la morale : « Cet atelier de fabrication des idéaux, à mon sens, il empeste le mensonge à plein nez ». Nous sommes notre héritage ! Fermer les yeux ou nous boucher le nez ne fera de nous que des hypocrites et des nihilistes. Soyons forts et construisons notre futur en honorant notre passé. Mémoire et espoir.
Remplacer la statue de l’Empereur, c’est en réalité remplacer nos valeurs.
Dans un monde où la réaction a pris le pas sur la réflexion, nous avons enfin la responsabilité de prendre la meilleure décision. Il en va du devoir de chacun de participer à ce débat qui concerne bien plus que la ville de Rouen et son paysage urbain. C’est une question politique et civilisationnelle. La solution de facilité aurait été de créer une place convenue pour rendre hommage à Gisèle Halimi mais à travers cette proposition brûlante, c’est l’Histoire de France que l’on remplace. Si le but idéologique est de ranimer les tensions entre les conservateurs et les progressistes, il faut dire que Gisèle Halimi comme Napoléon valent mieux que ça. Rappelons-nous avec honneur de notre passé et tournons-nous avec résolution vers notre avenir ; ne déboulonnons pas notre Histoire !
Thomas Primerano,
étudiant en philosophie à la Sorbonne, membre de l’Association pour la Cause Freudienne de Strasbourg, membre de la Société d’Études Robespierristes et auteur de Rééduquer le peuple sous la Terreur paru chez BOD.
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