Samedi 1 er avril, date de la fin de la trêve hivernale (période durant laquelle les procédures d’expulsion d’un locataire qui ne paye pas son loyer sont suspendues), l’association Droit au Logement (DAL) appelait à se réunir à Paris, place de la Bastille. Un rendez-vous qui avait pour objectif principal de dénoncer la loi Kasbarian-Bergé, visant à faciliter l’expulsion de squatteurs.
Une volonté de pénaliser davantage les « squatteurs »
Ce rassemblement, à l’initiative de l’association Droit au Logement, s’est tenu alors que la loi Kasbarian-Bergé, portée par la majorité, a été adoptée en seconde lecture à l’Assemblée nationale ce mardi 4 avril, après avoir été amendée puis adoptée une première fois dans les deux Chambres. Soutenue par les Républicains et le Rassemblement National, cette loi prévoit la possibilité de délivrer une amende de 7 500 euros pour les locataires qui se maintiennent dans un logement malgré une décision judiciaire d’expulsion, ainsi que le triplement des peines encourues par les squatteurs qui occupent illégalement une surface : trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende, contre 1 an et 15 000 euros aujourd’hui. Une loi qui intervient alors que selon la fondation Abbé Pierre, 330 000 personnes sont sans domicile fixe en France. Ce chiffre n’a jamais été aussi élevé, alors que dans le même temps, l’hexagone compte plus de 3 millions de logements vacants, dont 1,1 million qui le sont depuis une longue période. Un nombre qui augmente en moyenne de 1,3% chaque année depuis 2016.
Une loi qui ne fait pas l’unanimité
La poignée de militants présents place de la Bastille s’accordent pour dénoncer un projet de loi « brutal » et « injuste », qui « criminalise les squatteurs, qui n’ont souvent pas d’autres options que d’occuper un logement de manière illégale ». Plusieurs députés de la France Insoumise sont présents sur place, parmi lesquels François Piquemal, Leila Chaibi ou encore Danielle Simonnet.
Les militants du DAL veulent surtout dénoncer le fait que cette loi assimile des locataires honnêtes, en incapacité de payer leur loyer, à des délinquants. Leur objectif est aussi de rappeler que lorsqu’il ne s’agit pas de locataires n’ayant plus les moyens de payer, une très grande majorité des bâtiments squattés sont vacants depuis longtemps, il s’agit souvent de bâtiments publics laissés à l’abandon.
Une véritable crise du logement en France
Il est devenu de plus en plus compliqué de se loger en France, en raison de l’explosion des prix de l’immobilier. Ils se sont multipliés par plus de 3 en tout juste 50 ans. Une augmentation que l’on peut, en partie, attribuer à la multiplication des multipropriétaires, puisque moins d’un quart des Français possèdent les deux tiers du parc immobilier français. Or, cette poignée de possédants, qui ont tout intérêt à laisser leurs logements vacants pour faire augmenter leurs valeurs, est à l’origine d’une spéculation immobilière en pleine expansion depuis deux décennies.
Cette situation rend l’accès au logement de plus en plus compliqué pour les personnes à faible revenu. D’ailleurs, le nombre de sans domicile fixe augmente en corrélation avec les prix de l’immobilier, puisque lui aussi explose. En 2012, l’Insee comptabilisait environ 142 000 SDF en France. En 2023, ce chiffre s’élève à 330 000. Il a donc plus que doublé en tout juste 10 ans. À cela, il faut ajouter, selon la fondation Abbé Pierre, plus de 4 millions de mal-logés, c’est-à-dire de personnes en hébergement contraint chez des tiers, ainsi que celles vivant dans un lieu beaucoup trop petit ou privé du confort de base.
Des solutions radicales : la réquisition de logements vacants
Dans ce contexte d’explosion du sans-abrisme, certains militants demandent à ce que le droit au logement l’emporte sur le droit de propriété, ils souhaitent ainsi que les logements vacants puissent être réquisitionnés par l’État. Ce dispositif existe déjà dans la loi, puisqu’une ordonnance de 1945 permet au Préfet de réquisitionner des logements inoccupés en cas de crise du logement. Mais dans les faits, elle n’est pratiquement jamais appliquée. Il s’agirait pourtant de l’une des nombreuses solutions pour répondre à cette crise du logement, selon le fondateur et porte-parole de l’association Droit au Logement, Jean-Baptiste Eyraud.
La loi Kasbarian-Bergé s’inscrit en opposition avec ces propositions, puisqu’elle vise à expulser les personnes en incapacité de payer leurs loyers. Si le problème de l’occupation illégale de logements existe et que la colère de propriétaires ne pouvant plus accéder à leur bien, parfois pendant plusieurs mois voire années, est évidemment compréhensible, cette loi semble inadaptée au marché du logement actuel aux yeux des manifestants. Il pourrait être plus opportun d’imaginer un projet de réglementation du marché de l’immobilier et surtout d’engager une vraie politique du logement. En moyenne, depuis 10 ans, la demande de logement social a progressé deux fois plus vite que le nombre de constructions de logements sociaux.
Aussi, se pose indéniablement la question des réquisitions. Peut-on vraiment continuer à permettre à des propriétaires de laisser un logement inhabité pendant plusieurs années, et par conséquent de faire exploser sa valeur, alors qu’il n’a jamais été aussi difficile de se loger ? La question mérite au moins d’être posée. Pour trouver un juste équilibre entre le droit à la propriété et le droit de se loger, plusieurs militants ont partagé l’idée d’aider financièrement les propriétaires à mettre leur logement en location, en leur conférant certains avantages, et au contraire de pénaliser, par la taxe, ceux qui refusent. La réquisition ne pourrait intervenir qu’en ultime recours.
Thomas Rannou et Poppy
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