« Nous sommes entrés dans une démocratie minoritaire » – Entretien avec François Cocq

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François Cocq est professeur de mathématiques en Zone d’éducation prioritaire (ZEP), essayiste politique, auteur de nombreux ouvrages tels que Alerte à la souveraineté européenne, et également un militant. Ancien secrétaire du parti de gauche, il a été porte-parole d’Arnaud Montebourg puis de Fabien Roussel lors de l’élection présidentielle de 2022. Dans cet entretien, François Cocq répond à nos questions sur la situation politique actuelle du pays.

Version audiovisuelle :

 

Version écrite :

Gavroche : Vous êtes membre des Constituants. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce groupe, ce mouvement politique ?

F. Cocq : Les constituants sont un groupe informel créé au printemps 2019 avec deux objectifs. Le premier est politique : faire valoir l’idée constituante remise sur le devant de la scène par le mouvement des gilets jaunes. Dans ce mouvement social, les gens défilaient avec leur carte électorale. Ils revendiquaient leur droit de décider par eux-mêmes, ce qui est bon pour soi et pour tous. Le début du mouvement des gilets jaunes a été un moment fort de résurgence de la puissance constituante. Nous, qui portions la nécessité de refonder le corps politique pour lui redonner un corpus commun et une dynamique populaire, avons accompagné ce mouvement. Le deuxième objectif est celui de construire un lieu de repos, de refuge, d’échange amical et bienveillant pour les personnes abîmées dans leur militantisme, où l’on peut avoir des discussions de fond, loin des idées et des marches d’appareil, et de la course aux places.

 

Gavroche :Pensez-vous qu’une renaissance du mouvement des gilets jaunes est envisageable ?

F. Cocq : Je me méfie de l’aspiration à réitérer sous une forme similaire quelque chose qui a déjà eu lieu. Cependant, de la même manière que l’élection de 2017 n’a pas purgé l’ensemble de l’aspiration destituante portée lors des présidentielles, qui témoignait l’envie de se débarrasser des corps intermédiaires dépassés, des personnalités et de l’improductivité du politique, l’élection de 2022 n’a pas répondu à l’aspiration populaire et à des ruptures ordonnées. En effet, la réélection de Macron a instauré une continuité. La campagne et le vote, caractérisés par des questions identitaires; puis le vote utile, n’ont pas été des lieux d’échanges et d’ajustements démocratiques pour les futures décisions. Tout ce qu’on a connu depuis une dizaine d’années, sous les mandats de Macron ou d’Hollande, s’empile, se sédimente. Le hiatus entre la légitimité institutionnelle réelle de Macron, et la légitimité populaire inaltérable, qui se sont fait face lors du mouvement des gilets jaunes, sera à nouveau présent sous ce quinquennat, et ce, de manière exacerbée. Néanmoins, cet affrontement ne sera pas forcément un mouvement des gilets jaunes bis. La force du mouvement populaire est de trouver des nouvelles formes pour élargir son assise et répondre aux problèmes et blocages du précédent mouvement. De plus, on peut espérer que ceux qui n’ont pas appuyé le mouvement en ont tiré des enseignements. Une séparation entre le champ institutionnel et le champ hors-institutionnel s’est installée. Le premier est resté figé, tant en ce qui concerne l’exécutif que l’opposition. Le deuxième a au contraire été dynamique. Aujourd’hui, cette séparation est renouvelée : le champ institutionnel est plus figé que jamais et les dynamiques s’expriment hors de celui-ci. Mon espoir est que les personnes du champ institutionnel ont compris que pour « chevaucher la vague », il ne faut pas tout ramener à ce champ-là.

Une séparation entre le champ institutionnel et le champ hors-institutionnel s’est installée.

 

Gavroche : Cela veut dire que, depuis 5 ans, les acteurs politiques, notamment de gauche, n’ont pas réussi à se remettre en question et à amorcer cette dynamique extra-institutionnelle, ou y-a-t-il eu un début de prise de conscience dans les partis ?

F. Cocq : Je constate que certains ont peut-être compris un certain nombre de choses. Il y a des mouvements contradictoires. Si j’en juge par ce qu’a été la campagne des gens pouvant être à même d’accompagner ce mouvement populaire, comme Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise ou l’Union Populaire, je vois qu’ils ont compris certaines limites de leurs actions en 2018 : le fait d’être enfermé dans le cadre institutionnel et d’avoir tenté de ramener le mouvement des gilets jaunes dans le cadre parlementaire. Ils ont en tiré des leçons. Pas en terme stratégique, celle-ci étant la relatérisation pendant les présidentielles, c’est-à-dire, de penser qu’il faut regrouper la gauche et apparaître comme vote utile pour la propulser lors des élections. Je ne sais pas si ce positionnement peut permettre d’accompagner le mouvement populaire, qui lui est beaucoup plus large. Cependant, ils ont sans doute fait la réflexion. Par exemple, Mélenchon a décidé de ne plus se représenter, ce, pour de multiples raisons, dont l’une d’entre elles pourrait être qu’il a compris que la place au sein du champ institutionnel phagocytait les énergies et empêchait de déployer les ailes nécessaires pour que le mouvement populaire prenne son envol. Je ne sais pas si cette analyse est partagée. Au regard des évènements, nous saurons quels sont les positionnements adéquats.

 

Gavroche : Récemment, vous avez soutenu la candidature d’Arnaud Montebourg et vous vous êtes affiché dans des meetings communistes. Cependant, comme vous l’avez dit, vous vous êtes retiré de la vie militante. Qu’est-ce qui a guidé vos choix de soutien ? Pourquoi se retirer ?

F. Cocq : J’ai maintenu une constance dans mes choix de soutien. Dans l’organisation où j’étais, il y a eu un débat quant à la stratégie à poursuivre. Deux options étaient possibles : le rassemblement de la gauche, ou bien celle que je soutenais, le rassemblement populaire, la majorité populaire. Ce débat a été tranché après les élections régionales de 2015, au moment où Mélenchon a créé La France Insoumise, a abandonné le rassemblement de la gauche et est passé dans une stratégie qualifiée à tort de populiste. Sous Mitterrand, la gauche représentait 45% des électeurs, puis 40% sous Hollande. Après 2012, elle s’est effondrée, ne représentant plus que 25%-30% des électeurs. Cette analyse prouve qu’aujourd’hui, que la gauche n’est pas à elle-seule suffisante pour créer une dynamique d’entraînement pour prendre le pouvoir. La stratégie de rassemblement de la gauche peut permettre d’accéder au 2nd tour, cependant, elle laisse en suspens la question de la manière de remporter l’élection, d’être dans une réelle prise de pouvoir. Aujourd’hui, la masse critique de la gauche n’est pas suffisante pour permettre une prise de pouvoir autocentrée sur la gauche. Personnellement, je prône une stratégie plus large : la majorité populaire. Jusqu’aux années 2000-2010, nous avons connu 40 ans d’alternance entre la social-démocratie et la démocratie chrétienne. En 2010, ce schéma s’est fragilisé et a basculé dans un modèle de grandes coalitions, à l’image de l’Allemagne. Ce modèle s’est tellement généralisé qu’en 2014, François Delapierre faisait remarquer que 16 des pays de l’UE étaient dirigés par des grandes coalitions. Cependant, depuis 2015-2016, ces grandes coalitions ne permettent plus au système de tenir en place à cause de blocages électoraux. Par exemple, en Espagne, les électeurs ont été appelés 4 fois aux urnes en 2 ans. En effet, dans la moitié des pays de l’UE, les grandes coalitions au pouvoir sont minoritaires dans leur majorité parlementaire. Elles n’ont qu’une majorité relative. Dans mon livre « L’Impératif démocratique », j’écris que nous sommes entrés dans une démocratie minoritaire. Compte-tenu de la stratégie de rassemblement de la gauche et des majorités électorales introuvables, un biais s’offre à nous, celui de construire une majorité populaire. Cela a donné naissance à La France Insoumise, et a été la stratégie adoptée lors de la campagne de 2017. Cette analyse est encore plus valable en 2022. Je l’ai poursuivi quand LFI s’est relatéralisé. Ainsi, j’ai soutenu Arnaud Montebourg car il voulait porter cette analyse politique. Cependant, à cause de multiples raisons dans son équipe de campagne, répondant à des problèmes de logistique et de savoir-faire politique, la campagne de Montebourg a été un échec et n’a pas permis de faire de la pratique politique pour vérifier cette analyse auprès des électeurs. Néanmoins, pour moi cette thèse n’est pas encore dépassée. En effet, jusqu’en 2017, la politique n’avait qu’une dimension : la gauche et la droite. Avec les présidentielles de 2017, notamment avec Macron et Mélenchon, la politique recouvrait deux dimensions : gauche/droite mais également haut/bas, oligarchie/peuple. Depuis la crise des gilets jaunes et plus encore celle du Covid, la politique se pense en trois dimensions. Ainsi, aux deux précédentes, il faut ajouter ce que Charlotte Girard appelle les bulles de solidarité repliées, soit le fait que les gens prennent leurs décisions en fonction de leur protection et de celle de leurs proches. Cela traduit des rapports brutaux derrière : on observe une augmentation de la conflictualité dans les rapports personnels, politiques, amicaux, de travail…  L’échec de la campagne de Montebourg qui portait cette analyse m’attriste car je n’ai pas pu la valider ou l’invalider. Si Mélenchon accède au 2nd tour, comment gagnerait-il ? Je n’ai pas la réponse à cette question, et personne ne me l’apporte. Je ne vois pas quelles sont les raisons politiques pour qu’il gagne. Il y a donc un problème de construction politique. J’ai essayé de faire vivre ce débat au sein de LFI, mais il n’a pas suffisamment de place. Maintenant que je suis sur le chemin du retrait politique, je tiens à faire valoir les idées qui m’ont toujours animées : la République, la laïcité. Fabien Roussel a représenté ces idées avec une certaine consistance et cohérence. Cependant, en connaissance de la stratégie du Parti Communiste pour faire des accords, j’ai compris qu’elles servaient plus à désillusionner les citoyens vis-à-vis du politique. J’ai donc opté pour un soutien de forme uniquement, et mon investissement s’est arrêté là.

Nous sommes entrés dans une démocratie minoritaire.

 

Gavroche : Vous l’avez dit, la stratégie de la gauche en 2022 a été de s’attarder sur la gauche. Toute une frange des classes populaires n’a pas voté pour des candidats de gauche. Il y a donc une scission entre les classes populaires et la gauche. Sur le long terme n’y aurait-il pas matière à discuter avec les gens pour les faire revenir à gauche ?

F. Cocq : Ce n’est pas la gauche qui pose problème. Je n’ai aucun problème à dire que je suis de gauche, mais cela ne suffit pas aujourd’hui. Je prêche pour trouver un biais qui élargisse l’assise de notre camp pour lui permettre de redevenir majoritaire. Pour cela, il y a deux méthodes : celle que je prône, trouver l’élément agrégateur qui rallie le plus grand nombre, par petites bulles, jusqu’à former ce qui est la définition du peuple politique à mon sens : le peuple se constitue comme la nation aujourd’hui, le corps politique constitué. La seconde stratégie, choisie par La France Insoumise en 2018, est différente.  C’est la stratégie du puzzle, du morcellement : aller chercher différentes catégories et essayer de les juxtaposer. Le score électoral a montré que cela a en grande partie fonctionné, mais je ne pense pas qu’elle permette de couvrir suffisamment le champ pour devenir majoritaire. J’ai la faiblesse de penser que la stratégie de l’agrégation le permette. Cependant, il faut trouver l’élément agrégateur parmi nous. Beaucoup ont dit que c’était la question écologique. Je n’y ai jamais cru. Pour moi, la question écologique est un nouveau paradigme, pris en compte par de nombreuses personnalités dont Jean-Luc Mélenchon dès 2012, où il définit l’écologie comme un nouvel élément de paradigme analytique qui permet de refonder le socialisme, le communisme, et toutes les traditions du mouvement ouvrier et de la gauche. Mais cet élément est insuffisant pour agréger les gens. Il ne chapote pas la volonté des gens. Comment attraper cette volonté populaire pour refonder l’intérêt général ? Je considère que cet élément, c’est la souveraineté, notamment populaire, même si dans la pratique, cela n’est pas le terme adéquat. Cependant, la souveraineté se décline, notamment sur la question de la liberté, prise sous ses différentes formes. Je n’ai pas oublié qu’héritier de la grande révolution de 1789, c’est la liberté qui précède encore l’accès à l’égalité. Je crois que le fil qui aurait pu être tiré, et qui rejoint beaucoup de préoccupations de la période, c’est celui-ci.

Gavroche : Vous avez mentionné votre attachement à la république et à la laïcité. En rapport avec l’actualité, que pensez-vous d’Eric Piolle ?

F. Cocq : Eric Piolle sert l’agenda des personnes que je combats. Je ne combats pas Eric Piolle, il a sans doute bien des valeurs et des vertus, mais pas celle d’avoir suffisamment de sens politique pour ne pas tomber dans le piège de celles et ceux qui prônent l’islam politique et mettent à l’agenda toutes les chausse-trapes pour faire valoir leurs idées dans le débat public. Le burkini en fait partie. Ce n’est pas une question de santé publique, c’est une offensive des islamistes, très clairement. Elle doit être traitée comme telle. De la même façon que pour faire passer la loi de 1905, il a fallu mettre l’Église catholique au pas, il faudra mettre les islamistes, ceux qui se réclament de l’islam politique et veulent faire intervenir le spirituel dans le champ temporel, au pas. On ne cède pas à cela. On ne leur sert pas la soupe en allant relancer des débats sur la question du burkini. Voilà en quoi Eric Piolle se trompe, et fait beaucoup de mal à notre camp. J’aimerais que ceux qui défendent vaillamment la laïcité ne cède pas à ce faux débat pour des enjeux électoralistes. Eric Piolle fait une erreur, ne détournons pas les yeux comme si la question du burkini était une fausse question. Qu’il fasse un arrêté pour mettre sur le même plan la question du burkini et des seins nus est une aberration et une absurdité.

 

Gavroche : Aujourd’hui, le parlement européen est en train de remettre en cause le système des listes nationales pour son élection, et le véto des États-membres pour passer à des votes à la majorité qualifiée. Cela permettrait-il un renouveau démocratique de l’UE ou est-ce une étape de plus vers un fédéralisme européen anti-démocratique ?

F. Cocq : Il ne vous a pas échappé que ces deux mesures répondent à l’agenda de Macron. Mon livre, Alerte à la souveraineté européenne, que j’ai publié en 2018, analyse sa proposition de souveraineté européenne. J’ai écouté son discours d’Athènes, celui aux ambassadeurs, et à la Sorbonne. J’ai été voir ce qu’il y avait derrière cette souveraineté européenne qui vise à se substituer à la souveraineté nationale, et donc à s’affranchir de la souveraineté populaire. En effet, différents niveaux de souveraineté ne peuvent exister de la sorte. La souveraineté est supérieure à tout le reste. Elle ne peut être supérieure à quelque chose de déjà supérieur à tout le reste, cela n’a pas de sens. Les propositions que vous citez font ainsi partie des propositions de Macron telles qu’il les évoque depuis 2017. Les listes transnationales visent à casser le corps politique, à ce que vous puissiez voter pour des personnes à l’étranger et que des personnes d’un autre pays puissent voter pour des personnes chez vous. La question du droit de véto relève du même principe : le supprimer veut dire abandonner notre souveraineté. In fine, on ne peut plus décider si des choses sont bonnes ou non pour nous et nos électeurs. Souvenez-vous que quand De Gaulle pratique la politique de la chaise vide c’est déjà sur cette question du droit de véto car il refuse de brader la souveraineté de la France. Avec Macron, il n’est même pas question de brader la souveraineté de la France, c’est lui qui pousse vers plus d’inclusion européenne. Il ne souhaite pas se débarrasser de la souveraineté de la France au nom d’un internationalisme. Il sait très bien que le cadre d’expression de la souveraineté populaire est le cadre national. Or, eu égard des démocraties minoritaires actuelles, Macron sait qu’il a besoin de s’affranchir des décisions des peuples. Pour cela il choisit de dépasser le cadre national en s’en référant à l’imperium démocratique bruxellois. Autrement dit, d’une certaine façon, Macron est le valet de Bruxelles et c’est lui qui pousse le plus la roue. J’aurais voulu que l’on mène le combat sur le fond. Ceux qui ont été aux élections européennes de 2019 ont refusé de mener le combat sur ces questions-là. Je le dis pour toutes les oppositions. Pas une n’a été menée de manière frontale sur cette question de la souveraineté européenne pour faire prévaloir la souveraineté populaire et nationale. Certains ont préféré faire un référendum anti-Macron, d’autres se placer face à Macron dans un duo entre les progressistes et les nationalistes. Aucune opposition électorale n’a prévalu, et nous allons le payer à l’avenir. De plus, des gens aussi continuent à être les porte-drapeaux de cette Europe fédérale. Je me rappelle la déclaration d’Europe Écologie les Verts le 9 mai qui revendiquait l’accord de la NUPES comme un moyen d’aller vers un fédéralisme européen. Nous ne sommes pas si loin de l’analyse de Macron. Je ne dis pas que tout le monde partage cette position  au sein de la NUPES, mais que cet accord change la hiérarchie du droit en faisant primer le droit européen sur le droit national. Cet accord va dans le mauvais sens, celui attendu par Macron.

 cette souveraineté européenne qui vise à se substituer à la souveraineté nationale, et donc à s’affranchir de la souveraineté populaire.

Gavroche : La conférence sur l’avenir de l’Europe s’est tenue en 2022, où 800 citoyens ont débattu sur ce que devait être l’Europe. 325 propositions en sont sorties dont une partie n’est applicable qu’avec une modification des traités. Pensez-vous que cette révision des traités européen ait une chance d’aboutir ?

F. Cocq : Je me souviens que ce cadre collectif a été demandé par M. Macron. Au début, c’était une convention sur l’avenir de l’Europe, qui offrait des débouchés. Là, ce sont simplement des gens qui se sont réunis pour faire des propositions, et Bruxelles et Strasbourg décideront de ce qu’ils en feront. La dimension démocratique de cet objet est donc très limitée. Sur le fond, vous posez la question de la place des traités aujourd’hui. Je fais partie de ceux qui ont vu d’un mauvais œil le changement de la ligne idéologique de LFI en 2018, par rapport à l’UE. Les plans A et B : désobéissance préalable aux traités puis retourner à la table des discussions, sont passés à la trappe, ce qui supprime tout rapport de force. Aujourd’hui, les traités européens n’existent plus, plus personne ne les respecte. Je crois que la question des traités est donc une fausse question. Quelqu’un qui arriverait au pouvoir et serait assis sur une légitimité populaire incontestable, pourrait dire qu’au nom de son pays, qu’il s’assoit sur les traités de la même manière que chacun s’y est assis depuis 5 ans. Je suis pour mener la confrontation sur le fond au sein de l’UE, et pas de se demander s’il l’on peut les aménager. Sinon, on se retrouve sur des positions qui se rejoignent. Macron a dit la semaine dernière qu’il fallait réviser les traités européens. Dire qu’il faut réviser les traités est une position tellement tiède et mièvre que c’est la même que celle du président de la république qui prône la souveraineté européenne. Je suis de ceux qui ne s’arrêtent plus à cette question. Elle est dépassée. Il faut établir une hiérarchie du droit incontestable. Je n’oublie pas l’épisode de l’automne dernier où, après que les Hongrois aient porté atteinte aux droits humains et aient franchi la ligne rouge sur des questions qui relèvent de la Cour européenne des droits de l’homme, la Commission européenne est venue expliquer que c’était non pas sur cette question-là qu’ils avaient franchi la ligne rouge, mais qu’il fallait réviser la question des traités et du droit au sein de l’UE pour que le droit européen soit supérieur aux droits nationaux. Cette question de hiérarchie des normes n’est pas encore tranchée. Cette bataille-là me semble plus importante et structurante pour l’avenir.

Aujourd’hui, les traités européens n’existent plus, plus personne ne les respecte.

 

Gavroche : N’y aurait-il pas quand même une différence entre vouloir réviser les traités dans une perspective européiste comme le fait Macron et engager un rapport de force contre ce fédéralisme porté par les élites nationales bureaucratiques ? Dans le sens où, si Macron engage un processus de révision des traités, la BCE l’empêcherait peut-être de se financer, alors que si Mélenchon arrive au pouvoir et va à l’encontre de Bruxelles, il y aurait sûrement un contrecoup plus fort.

F. Cocq : Oui, mais il faut établir un rapport de force. La question est politique avant tout. On établit ce rapport de force sur la question de la désobéissance. Mais cette question crée-t-elle un effet d’entraînement et permet-elle de rallier d’autres pays qui partagent la même problématique : que l’Europe privilégie le marché, qu’elle se fait sur le dos des peuples… Faut-il se poser la question d’où se trouve la souveraineté des citoyens et de comment faire pour qu’elle s’exprime ? Je crois qu’elle se pose plus en ces termes aujourd’hui. Bien sûr que la hiérarchie des droits a des conséquences sur les traités, mais les gens peuvent le percevoir comme une question de souveraineté. Ils veulent pouvoir décider, reprendre le contrôle sur leur vie. C’est ça l’un des marqueurs de la période. Tout n’était pas bon dans la campagne d’Arnaud Montebourg, mais il résumait les choses de manière assez simple : le droit national primerait toujours sur les décisions de l’UE. Nous ne sommes pas dans le même objet entre le droit national qui émane de la représentation nationale et des décisions prises par on ne sait qui avec on ne sait quel cabinet de lobbying à côté. Il faut rétablir les choses telles qu’elles doivent être. C’est plus une bataille politique à mener. Prendre cette question par la différence de bienveillance dont bénéficieraient Macron et Mélenchon s’ils révisaient les traités n’est pas efficace. Cela ne permet pas de créer le rapport de force suffisant à même de l’emporter. Je pense qu’aujourd’hui, on arrive au bout du chemin. Les gens sont étranglés, ils n’en peuvent plus. On ne reprendra pas la main sur cette question-là car on n’arrivera pas à établir sur la base de la désobéissance une majorité et à trouver suffisamment d’alliés.

 

Gavroche : Au-delà des questions européennes, à quoi vous attendez-vous vis-à-vis du nouveau quinquennat de Macron ? Quel sort est réservé à la France ?

F. Cocq : Macron a les mains libres et il va être en roue libre. Il n’a pas au-dessus de sa tête la petite chape de plomb d’une réélection. Il va essayer d’aller au bout de son agenda avec la brutalité qu’on lui connaît et la volonté de rendre les choses irréversibles. La politique de M. Macron infuse dans les esprits. Le PS a ouvert la voie d’une instrumentalisation cynique de la violence et de la criminalisation du mouvement social avec la Loi travail en 2016. Macron a repris cela à son compte avec Mme Borne, au moment du mouvement social du printemps 2018 sur la SNCF et d’autres lois travail, ou bien pendant le mouvement des gilets jaunes. Il change en profondeur la nature et le rapport du citoyen au politique et à l’espace politique. Il ne fait pas que passer des petites mesures, il change la superstructure de la vie politique et démocratique. C’est aussi ce qu’il veut faire avec l’UE. Je crois qu’il a en tête de rendre les choses irrémédiables. Rien ne saurait être irrémédiables sinon les droits naturels car tout doit pouvoir être remis en question par le citoyen qui doit avoir le dernier mot. M. Macron essaye de s’affranchir de cela, et je crois que c’est ça qui est au programme de son futur quinquennat. Il faudra regarder toutes les mesures qui vont être prises à l’aune de ce qu’elles vont impliquer dans la durée. Il va construire ses mesures de telle sorte qu’il sera très compliqué de revenir dessus. Voilà ce qui m’inquiète pour la suite. Ce deuxième quinquennat sera également placé sous le sceau de la question européenne. Il a théorisé les choses sous son premier quinquennat, il va maintenant passer à la phase pratique. Voilà le grand danger.

Macron change la superstructure de la vie politique et démocratique.

 

Gavroche : Pour ce qui est de l’opposition à Emmanuel Macron et à son programme, pensez-vous que la NUPES a un avenir ? Pensez-vous que Mélenchon va remplacer Élisabeth Borne ?

F. Cocq : Je ne sais pas si la NUPES a un avenir. Je vois toutes les contradictions qu’il y a au sein de cet attelage hétéroclite entre ce qu’est le PS, EELV, le PCF et LFI. De fait, LFI a pris le leadership au sein de la gauche comme annoncé par Mélenchon dès 2018. Si on suit son agenda, c’est une réussite. Va-t-il y avoir un succès électoral ? J’ai appris à me méfier des prédictions politiques, ayant fait moi-même suffisamment d’erreurs pour ne pas me livrer à ce genre d’analyse. Par contre, je constate que Mélenchon a toujours bénéficié d’un socle pendant le quinquennat de Macron. Des gens adhèrent réellement à sa politique. C’est incontestable. Mais il y a eu un vote utile extrêmement fort. Un raz-de-marée s’est mis en place durant les deux dernières semaines. Être capable de susciter un tel phénomène, cela nécessite un certain talent. Cependant, va-t-il y avoir un reflux ? Cet électorat-là va-t-il repartir ? Je pense que pour une partie oui. Beaucoup de gens ont rallié LFI car on leur a dit que cela empêcherait Mme Le Pen d’accéder au 2nd tour. Mais j’ai entendu des militants de gauche dire que si Mélenchon était allé au 2nd tour face à Macron, ils n’auraient pas voté pour lui.  Je ne dis pas que c’est la majorité, mais il y a eu de tout dans ce vote utile. Il va donc y avoir une part de reflux. Mais il y a aussi des gens qui n’étaient pas accrochés par le programme de LFI qui ont voté pour lui, et qui vont rester car ils pensent que Roussel, Jadot et Hidalgo ont empêché Mélenchon d’être au deuxième tour. Je ne peux quantifier la part de reflux et de gens qui vont rester accrochés. Je ne sais pas si cela permettra à Mélenchon d’être premier ministre et d’avoir une majorité. A priori, non, car les institutions de la Vème république sont faites pour empêcher cela. C’est un des travers que je combats depuis toujours. J’en veux énormément à Lionel Jospin d’avoir réalisé l’inversion du calendrier électoral. Je ne crois pas qu’on puisse dépasser ce blocage de système. Par contre, ce que je constate c’est que ceux qui, comme moi, considèrent que la Vème république aujourd’hui est un adversaire politique en tant que structure, ne sont pas convaincus par le fait que Mélenchon avance l’argument de se faire élire à Matignon comme un argument politique. Quand bien même il voudrait détourner la Vème république, cela participe à la validation de ce qu’elle représente. De la même manière, je ne suis pas sûr que le vote utile soit un argument pertinent pour notre camp. Il existe depuis longtemps mais on ne l’a jamais utilisé. On en a toujours appelé à la raison, à la conscience, au fait qu’un citoyen se détermine au regard de l’intérêt général. Le fait de prôner le vote utile est un argument qui se retournera contre nous aux prochaines élections car Mélenchon ou l’un de ses proches ne sera peut-être pas favori. Ceux qui sont nos adversaires auront beau jeu de se prévaloir du vote utile à partir du moment où notre camp lui-même l’a fait en 2022. Sur le long terme, cela me pose problème. J’en vois la réussite électoraliste évidente mais je ne suis pas sûre que du point de vue des idées et de la raison à laquelle on doit toujours se référer en politique, cela a été un progrès pour nous.

 

Gavroche : Au-delà de la NUPES, d’autres formations à gauche essayent d’aller chercher de nouveaux électeurs, de construire des nouveaux paradigmes. Que pensez-vous du potentiel de la Fédération de la Gauche Républicaine et des capacités à se développer de République Souveraine qui s’est alliée avec Solidarité & Progrès pour 2022 ?

F. Cocq : Je réfléchis plus en termes de pertinence, de capacité et d’espace politique. Ce que je sais c’est que le camp républicain et laïque est à terre. Je le vis douloureusement. J’ai commencé l’aventure en cofondant le parti de gauche avec Mélenchon en 2008. Sur les questions républicaines, il dit le 18 mars, place de la République que la France n’est plus un État unitaire. Dans son interview dans La Croix, il affirme qu’il ne reviendra pas sur les lois Debré de financement privé et qu’il fera de l’enseignement privé sous contrat un allié pour lutter contre l’enseignement privé hors contrat. Autrement dit, il labellise l’enseignement privé sous contrat. Il refuse d’employer le terme d’islamisme pour qualifier l’islam politique et il dit que Mohammed Merah est un assassin antisémite, ce qui est une absurdité. Sur toutes ces questions structurantes, je trouve qu’aujourd’hui, nous sommes en-dessous de quand nous avions pris les questions républicaines et laïques en 2008. Je le dis avec beaucoup de douleur, car jusqu’à mon exclusion il y a 3 ans, j’avais passé 10 ans à ne faire que ça. Je trouve qu’on avait monté très haut ces valeurs en 2017. Aujourd’hui, sur ces questions-là, le drapeau est à terre et encore plus enterré qu’au moment où on l’a relevé en 2008. Le camp républicain et laïque doit donc se reconstruire. Il reste une petite flamme. Il y a des périodes de montée à l’assaut, des périodes jubilatoires. Et il y a des moments moins exaltants dans la vie militante, où il s’agit de garder cette petite flamme. Je crois que malheureusement aujourd’hui nous en sommes là, dans le camp républicain et laïque. Il va falloir que cette flamme éclaire de plus en plus. On a tous ça à reconstruire sans beaucoup d’alliés pour nous aider. Certains le font vaillamment, comme Georges Kuzmanovic avec République Souveraine, en étant fidèle à des principes politiques. Ça a l’écho que ça a. Certains le trouve insuffisant. Peu importe, la tâche est accomplie. Cependant, ce camp n’est pas tombé à terre du jour au lendemain, sans raisons, ou du fait de l’électoralisme de certains. Il est tombé à terre car un combat politique a été mené contre lui, et que des gens ont laissé faire au sein de LFI. Une offensive a été revendiquée par des identitaristes. Ils ont construit un horizon électoraliste. Certains ont cédé à cela et nous ont tous fait reculer. Ce combat-là, au sein de la gauche, pour refaire valoir les idées républicaines, sociales et laïques de manière prégnante et en centralité, il va devoir être mené. Nous ne pourrons pas faire l’économie de cet affrontement. Peut-être que ces idées nous les feront vivre dans une cabine téléphonique les uns, les autres. Un jour nous regrouperons ces cabines téléphoniques et nous aurons servi la cause qui doit être la nôtre. Je concède que je ne vends pas du rêve en vous disant ça, mais pour les gens fidèles à leurs idéaux, c’est une tâche qui n’est pas moins noble qu’une autre.

 

Entretien réalisé par Théophile Noree et Baptiste Detombe, et retranscrit par Manon Schneider.

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