La NUPES : alliance mal ficelée ou nouvel espoir ?

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Suite à l’accord des quatre grandes formations de gauche, un nouveau sigle est apparu dans la vie politique française : NUPES, pour Nouvelle Union Populaire, Ecologique et Sociale. Ainsi, la gauche a décidé de mettre ses divisions de côté afin de présenter des candidatures communes pour les législatives prévues en juin. Voilà de quoi donner un nouveau souffle d’enthousiasme dans ses rangs après l’élection présidentielle et la décevante troisième place échue à Jean-Luc Mélenchon. Mais quelles sont les chances et les possibilités de cette alliance ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses ? Coup d’œil général sur la NUPES.

 


Le 7 mai dernier a vu s’officialiser la nouvelle alliance entre La France Insoumise, le Parti Communiste Français, Europe Ecologie Les Verts et le Parti Socialiste, et quelques « petits » partis. L’alliance fut conclue rapidement suite à l’immense déception née de la présidentielle et l’échec de Jean-Luc Mélenchon à accéder au deuxième tour. Sans surprise, LFI y tient une place prépondérante.

L’enjeu pour LFI est de capitaliser sur le bon score de Jean-Luc Mélenchon (21,95%), arrivé loin devant ses nouveaux alliés. Les négociations sur les circonscriptions lui ont donné la part belle : sur les 577 circonscriptions électorales en France, les candidats LFI se trouveront sur 325 d’entre elles, les verts sur 100, les socialistes sur 70, et les communistes sur 50.

Il est certain que LFI a réalisé un grand coup tactique avec cette alliance. L’union de la gauche fait vivre une campagne des législatives qui s’annonçait morne, certains sondages laissant penser à une possible victoire de la NUPES. Même si, nous le savons, la fiabilité des sondages sur les législatives est toute relative.

Macron fraîchement réélu ne soit pas certain d’avoir une Assemblée acquise constitue en soi un moment inédit de notre histoire politique. Dans cette campagne, la NUPES axera certainement son discours sur la possibilité concrète de bloquer l’action politique du président durant son quinquennat. Elle espère que cela provoquera un déclic parmi les électeurs et les abstentionnistes versant dans le « tout sauf Macron ».

 

Historiquement, la NUPES est une recomposition de l’alliance entre le socialisme et le centre-gauche, similaire à l’expérience du Bloc des gauches (1899), du Cartel des gauches (1924) ou du Front populaire (1936). Toutefois, il existe une différence de taille avec ces expériences. C’est en effet la première fois que dans une Union de la gauche, le centre-gauche (représenté ici par le PS et EELV) ne constitue pas une force dominante, mais reléguée au second plan.

 

De par la composition de l’alliance il est possible de tirer certaines conclusions. Nous voyons déjà se dessiner certaines limites dans sa politique réellement applicable, et également certains points de tension qui fragilisent l’ensemble.

La question européenne

La question de l’Europe reste le point de tension principal au sein de la NUPES. Le positionnement vis-à-vis de l’Union Européenne conditionne en effet la politique économique qui peut être conduite. Sur cette question, les différences les plus nettes de positionnement séparent LFI, plus proche du positionnement eurosceptique et le duo EELV/PS, plutôt pro-UE.

L’objectif commun annoncé est de « mettre fin au cours libéral et productiviste de l’Union Européenne et construire un projet au service de la bifurcation écologique et solidaire ». Mais les communiqués publiés par EELV et le PS montrent des différences qui révèlent les divergences de fond qui existent sur cette question. Ainsi, le PS et EELV annoncent dans leurs communiqués être prêts à désobéir à certaines règles européennes, en précisant toutefois que « le gouvernement que nous formerons (…) ne pourra avoir pour politique la sortie de l’Union européenne, ni sa désagrégation, ni la fin de la monnaie unique. »

Quant aux insoumis, précisons déjà que leur position a évolué suite à l’élection présidentielle de 2017. Jusqu’en 2020, ils présentaient alors une stratégie Plan A/Plan B résumée par la formule « L’Europe, on la change ou on la quitte ». Ce discours a été ensuite progressivement abandonné et remplacé par une stratégie de désobéissance immédiate vis-à-vis de certaines directives s’opposant au programme, la désobéissance étant vu comme un levier de négociation pour le changement des règles européennes. Bien qu’une éventuelle sortie de l’euro ou de l’UE soit exclue de prime abord dans cette nouvelle stratégie, celle-ci reste trop radicale pour une partie du PS et d’EELV qui refuse l’option de la désobéissance immédiate.

Il existe une forte tendance europhile au sein du centre-gauche, ainsi qu’une tendance plus encline à se ranger sur le positionnement de LFI. Rappelons déjà que le PS a connu une vague de départs de ses cadres les plus europhiles suite à la signature de l’accord.  Cependant, il reste difficile de jauger a priori la puissance respective de chacune de ces tendances à l’heure actuelle. La tendance europhile s’opposera toutefois de façon certaine à tout rapport de force engagé avec l’Union européenne, donc à la stratégie envisagée par les Insoumis. Pour la sénatrice EELV Marianne Vogel « il est exclu de mettre le doigt dans une quelconque option qui amènerait à faire une « Europe à la carte » […] c’est-à-dire de violer les directives européennes et les traités, et ensuite de ne pas respecter les décisions de la justice européenne. »

Fait amusant : suite à la signature des accords, chaque camp a affirmé avoir attiré l’autre sur ses positions. Ainsi le député européen d’EELV David Cormand, ancien secrétaire national du parti, affirme sur son blog que « L’alliance en cours permet un aggiornamento pro-européen ». Tandis que du côté de LFI, la député européenne Manon Aubry affirme « C’est une victoire pour nous, car ni les socialistes ni les écologistes n’étaient majoritairement sur cette ligne pour assumer des rapports de force jusqu’il y a peu. »

Les autres points de tension dans la NUPES

D’autres points de tension rendent l’alliance fragile : tout d’abord celui des relations diplomatiques et de la position par rapport à l’OTAN. Si LFI et le PCF indiquent dans leurs programmes leur volonté de sortir de l’OTAN, le PS et EELV sont eux sur des positions plus atlantistes. Ajoutons que la guerre en Ukraine a exacerbé les tensions sur la relation à avoir vis-à-vis de la Russie. Durant la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a été maintes fois caricaturé en « agent » ou « allié » de Poutine par les candidats du PS et d’EELV, Yannick Jadot et Anne Hidalgo. Ambiance… Cette tension reste aujourd’hui latente et l’actualité de la guerre toujours en cours ne manquera pas de souffler sur les braises de la division au sein de l’union.

L’autre grand point de tension, ici principalement entre le PCF et LFI, concerne le rapport à la laïcité. Tandis que LFI a effectué un glissement vers certaines thèses communautaristes, le PCF a conservé la conception républicaine classique de la gauche sur ces questions. Ces tensions se sont cristallisées sur la candidature portée par LFI de Taha Bouhafs, figure de la gauche communautariste, dans la 14e circonscription de Vénissieux, face à la candidate PCF, Michèle Picard. Finalement, Taha Bouhafs a dû retirer sa candidature suite aux accusations de violences sexuelles dont il aurait été l’auteur. Mais les tensions résultant de l’opposition entre la conception laïque et la conception communautariste restent majeur dans la NUPES et ne manqueront pas de se manifester à d’autres occasions.

La question du nucléaire a aussi été mise en suspens. Et ici encore, la position du PCF plutôt pro-nucléaire s’oppose frontalement aux engagements de LFI et de EELV de réduire fortement la part du nucléaire dans notre énergie.

 

L’actualité de la guerre toujours en cours ne manquera pas de souffler sur les braises de la division au sein de l’union.

 

Nous le voyons, le nombre des divergences est important, et celles-ci sont profondes, ce qui réduit la solidité et la cohérence de l’union. Ainsi quel serait le destin de la NUPES en cas de défaite ? Il y a fort à parier que celle-ci ne durera pas et finira par éclater sous le poids de ses contradictions. Evidemment, le rapport de force interne dans l’alliance qui résultera des législatives sera déterminant pour son futur.

En cas de victoire, quelle politique possible ?

Imaginons que la NUPES obtienne une majorité et parvienne à envoyer Jean-Luc Mélenchon à Matignon, ce qui n’est pas certain, la constitution prévoyant que c’est au Président de la République de nommer le Premier ministre. Les divergences de fond sur la question européenne ne tarderont pas à ressortir et à s’imposer comme le point de tension principal.

En effet, si un tel gouvernement souhaite soulever la question du protectionnisme, élément clef dans le programme de LFI, il s’affrontera de fait aux traités européens qui sanctuarisent la liberté de circulation des marchandises et des capitaux. Il en sera de même lorsqu’il s’agira de vouloir mettre fin à la concurrence dans certains secteurs (ferroviaire, eau, énergie). Ainsi un rapport de force entre l’UE et le gouvernement s’engagerait avec une union qui risquerait d’éclater.

Une désobéissance réalisable compte tenu de la réalité politique de la NUPES se ferait sur les règles budgétaires, notamment la fameuse règle des 3% de déficits publics maximum, maintes fois transgressée au cours de ces dernières années. Mais ceci ne réglera pas les grands problèmes de l’économie française et de son déficit commercial gigantesque et permanent (84,7 milliards d’euros en 2021). Si un gouvernement souhaite régler ce problème de fond, la question du protectionnisme, dont la question monétaire fait partie, et donc la question de l’euro, doivent être posées.

 

Ainsi, nous pouvons penser que la NUPES ne posera certainement pas la question du cadre – euro et libre-échangisme – compte tenu de la composition de l’alliance. Un tel gouvernement disposerait toutefois de certaines marges de manœuvre à l’intérieur de l’UE pour mener une politique sociale, notamment sur le droit du travail et sur la question des retraites.

Ceci semble être la position défendue par François Ruffin au micro de BFM « Changer la vie des gens, vous savez, moi, je suis sceptique. Mais changez un peu la vie des gens, l’améliorer un peu. Aujourd’hui, on est dans une telle situation de désespérance que si on arrive à prendre juste quelques mesures qui améliorent la vie des gens ils vont en être stupéfaits, il n’y a donc pas besoin de bouleverser complétement. »

Le député picard, qui représente pourtant la pointe la plus acérée de l’euroscepticisme à LFI, pense que les choses sont actées. La NUPES ne pourra faire que du réformisme réformiste plutôt que du réformisme révolutionnaire. Si François Ruffin espère que la NUPES puisse enclencher une dynamique qui donnera de l’élan et brisera la résignation, il a conscience que c’est avant tout une alliance opportune anti-Macron « Les gens cherchent un bâton pour chasser Macron. Nous disons qu’il y a un autre bâton que celui de Marine Le Pen ».

Anthony GELAO

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