Au-delà de l’abaya : résoudre la crise éducative française

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Alors que le système scolaire français continue à dépérir, il n’est pas certain que les mesures prises par Gabriel Attal concernant l’abaya suffisent à inverser la tendance.


Le 27 août dernier, voilà que notre nouveau ministre de l’Éducation nationale annonçait que désormais il ne sera plus possible de « porter d’abaya à l’école ». On peut aisément comprendre l’intention derrière cette interdiction, à savoir lutter contre le séparatisme religieux sous toutes ses formes, Emmanuel Macron ayant appeler à lutter contre ceux qui entendent « défier la République et la laïcité ». On ne peut néanmoins pas nier qu’en annonçant cette mesure au début de l’année scolaire, le gouvernement met temporairement en arrière-plan la crise que traverse l’éducation depuis de nombreuses années.

Quand les classes débordent

A la rentrée scolaire 2023, « plus de 3000 postes d’enseignants sont non pourvus », et qui dit manque d’enseignants, dit dégradation de l’enseignement lui-même. De fait, des classes se trouvent sans professeurs ou bien sont surchargées avec des effectifs dépassant parfois la trentaine d’élèves, la France étant même « l’un des pays riches où on compte le plus d’élèves par enseignants ».

Or, lorsqu’une classe est surchargée, lorsqu’un professeur a devant lui un trop grand nombre d’élèves, il devient difficile pour lui de faire cours dans des conditions acceptables et d’apporter un suivi individualisé – essentiel – aux élèves. Cela devrait pourtant être au cœur des préoccupations du ministère quand on sait qu’en France, l’école a plutôt tendance à aggraver les inégalités en fonction de l’origine sociale qu’à les combattre. C’est tout du moins ce que pointaient du doigt un rapport du CNESCO (Centre national d’étude des systèmes scolaires) en 2016, et un rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en 2021. Ainsi, d’après le rapport du CNESCO :

« Ceux qui sont issus des milieux sociaux les plus favorisés ont maintenu leur niveau […] alors que les élèves issus des milieux les plus défavorisés ont vu leur niveau moyen […] largement baisser ».

Ce déficit engendre également d’autres conséquences, qui, outre leurs retombées négatives sur les élèves, touchent directement la situation des enseignants. En effet, le grand nombre de postes non pourvus contraint certains professeurs à assurer des services partagés entre plusieurs établissements, une pratique qui détériore significativement leurs conditions de travail.

Face à cette difficulté nouvelle mais anticipée depuis longtemps dans le milieu professoral et syndical, le gouvernement préfère s’appuyer sur des contrats précaires – autrement appelés « contractuels » – plutôt que de réformer et d’accompagner efficacement ce service public de première importance. Ces contractuels, motivés par la passion ou la simple nécessité de trouver un travail rémunéré, ne sont ni titulaires du CAPES, ni titulaires de l’agrégation : en d’autres termes, ce sont des « imposteurs ». Cette pratique fragilise l’enseignement, d’une part car ces contractuels n’ont pas ou peu été formés à la pédagogie, et d’autre part car ils « gagnent entre 5 et 20% de moins que les titulaires », dans un métier pourtant déjà mal payé.

Il est toutefois important de souligner que les contractuels ne sont pas responsables de cette situation et qu’ils ne prendraient pas la place d’un professeur compétent et qualifié si le marché du travail leur offrait une véritable alternative. Hélas, ce n’est pas dans ce sens que semble aller l’Éducation nationale. Ainsi, comme en témoigne le rapport du Collectif Nos Services Publics publié en 2023, le nombre de contractuels a augmenté de 40% entre 2012 et 2021, tandis que le nombre d’inscrits au Capes interne a quant à lui diminué de 14% entre 2016 et 2021

La passion ne suffit plus

Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut remonter dans le temps. S’il y a un manque d’enseignants, c’est parce que les conditions d’enseignements, ainsi que la condition enseignante, se sont détériorées. Il y a désormais un manque d’attractivité de la profession. Le fait est que depuis 1983, le point d’indice (c’est-à-dire l’outil utilisé par l’État pour calculer le montant du salaire brut des fonctionnaires) a cessé d’être indexé automatiquement sur l’inflation.

Cette indexation automatique était pourtant indispensable pour faire face à l’augmentation du coût de la vie. Si cette fin de l’indexation automatique du point d’indice sur la hausse des prix était déjà difficile à supporter pour les enseignants, ceux-ci voyaient néanmoins de temps à autre le gouvernement revaloriser son montant compensant ainsi ponctuellement cette désindexation. Cependant, depuis les années 2000 sévit le gel immuable des salaires des enseignants, ce qui constitue pour l’union nationale des syndicats autonomes, in quote :

« une double peine pour tou·te·s les agent·e·s de l’État et particulièrement au ministère de l’Éducation nationale : une diminution des salaires en euros constant qui se cumule avec les années et un déclassement de nos professions dû à des rémunérations trop basses ».

Tandis qu’un enseignant doit bien souvent posséder un Bac+5, ainsi qu’un concours d’enseignement, son salaire net se rapproche pourtant de celui d’un brigadier ou d’un gardien de la paix, soit des fonctionnaires dont la formation n’excède pas les 39 semaines, comme le constate un rapport sénatorial sur la comparaison européenne des conditions de travail et de rémunération des enseignants.

Dès lors, on a vu se développer au fil des ans l’expression de « métier passion », mais si la passion aide pendant un temps à trouver du sens à ce que l’on fait, force est de constater qu’aujourd’hui, la passion seule ne suffit plus. En effet, du fait du manque d’attractivité de la profession, on constate une chute structurelle du nombre de candidats aux concours d’enseignements :

« Le nombre d’inscrits aux concours de l’enseignement du second degré a diminué de plus de 30 % en moins de quinze ans, passant de 50 000 candidats présents en 2008 à 30 000 en 2020 ».

Le problème n’est pas que financier. Aujourd’hui, le métier d’enseignant en lui-même est relativement mal perçu. Ainsi, seulement « seuls 6,6 % des enseignants français se sentent valorisés par la société » d’après le rapport du Sénat sur la comparaison européenne des conditions de travail et de rémunération des enseignants.

Un mal-être scolaire

La crise que vit l’éducation nationale depuis de nombreuses années ne concerne évidemment pas que les professeurs. On observe un profond mal-être des élèves au sein de l’école.

Ce mal-être a des causes diverses : harcèlement, pression liée aux devoirs, attitude du personnel enseignant, difficulté scolaire, etc. ; des problèmes que la République a trop longtemps délaissé, le Collectif Nos Services Publics n’hésitant pas à parler à ce propos d’un « impensé de l’école française ». Un impensé jusqu’ici masqué, mais qui fut révélé à la France entière, alors que le récent suicide de Nicolas, un lycéen de Poissy, devait susciter l’émoi à travers le pays.

Si Nicolas n’est pas le premier élève de l’Éducation nationale à se suicider, c’est néanmoins sa disparition qui alerta quant au problème d’harcèlement en milieu scolaire, et plus particulièrement du manque de réaction de l’Éducation nationale, alors que pourtant, d’après le rapport du Collectif Nos Services Publics, au collège, in quote :

« Près d’1 élève sur 5 éprouve un sentiment d’humiliation […]. Au lycée, […], un lycéen sur 4 a peur de venir au lycée à cause de la violence, 10 % des lycéens ont été victimes de cyber-harcèlement, 18 % des filles ont été victimes d’insultes sexistes ».

En somme, la crise éducative en France va bien au-delà de la question de l’abaya. Le manque criant d’enseignants, les conditions détériorées et le manque d’attrait pour la profession sont des défis urgents. Les conséquences sur les élèves sont tout aussi préoccupantes, avec un mal-être grandissant et des inégalités persistantes. Pour surmonter cette crise, des mesures drastiques sont nécessaires. Il est impératif de revaloriser la profession enseignante par des réformes salariales et des conditions de travail améliorées. De même, une attention particulière doit être portée au bien-être des élèves, en luttant contre le harcèlement et en créant un environnement propice à leur épanouissement.


L’éducation est le socle de notre avenir, et investir dans notre système éducatif est un investissement vital pour une société plus équitable et prospère. Il est temps d’agir résolument pour un avenir éducatif meilleur en France.

 

Pierre Cazemajor

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