La moitié des écoliers français peine à lire aisément à haute voix. C’est la principale conclusion du ministère de l’Éducation nationale (1), après avoir évalué le niveau des élèves à l’entrée en 6e. Pire, dans les établissements d’éducation prioritaire renforcée (REP+) le chiffre descend à 40 %, et un tiers d’entre eux ne possède qu’un niveau de CE2. Ces données symbolisent une nouvelle fois le déclin de l’instruction à la française et la solitude des enseignants à transmettre leurs savoirs.
La France fossoyeuse du français…
Premier facteur explicatif de cette tendance : le déclin du temps d’apprentissage du français. En 1968, un élève de CP recevait 15 heures de français par semaine contre seulement 10 aujourd’hui, soit une baisse d’un tiers. Plus globalement, sur l’ensemble des niveaux en école élémentaire, 432 heures de la matière ont été enlevées en 50 ans. Et on fait le même constat au collège ! En 1975, un collégien avait reçu au minimum 90 heures de français de plus qu’un collégien de 2015. (2) Autre facteur de taille, l’augmentation du nombre d’élèves par classe pénalise l’apprentissage de cette matière vitale. Largement critiquée par Jean-Paul Brighelli, délégué national à l’instruction publique de Debout la France, ou Barbara Lefebvre (professeur d’histoire-géographie), la massification scolaire a « manqué le tournant émancipateur et démocratique » selon cette dernière (3). Suivant la tendance à partir de l’après-guerre, c’est tout le système éducatif français qui a changé de paradigme, à travers le pédagogisme, un mouvement éducationnel alternatif. Selon Brighelli, les nouvelles méthodes censées promouvoir l’Éducation nouvelle fournissent « un aliment idéologique au libéralisme économique qui voulait un système éducatif propre à perpétuer l’oligarchie et à créer un vaste réservoir d’ilotes pour tâches répétitives. » (4) L’ancien professeur argumente également sur les effets pervers de la massification scolaire, qui aboutit à un système à deux vitesses, matérialisées en deux écoles. D’un côté, les plus aisés financièrement et culturellement se sont empressés de rejoindre les établissements privés très cotés, avec des méthodes « à l’ancienne », de l’autre, les classes moyennes et populaires ont dû se regrouper dans des « structures qui sauraient gérer les flux ». C’est ainsi la conséquence directe de la fameuse carte scolaire, largement approuvée par les premiers et subie par les seconds. Les enfants du ghetto dans les collèges du ghetto, ceux du Ve arrondissement à Louis Le Grand ou Henri IV.
… et des mathématiques
Le lycée « au menu » décidé par Jean-Michel Blanquer est un nouveal exemple du déclin français. Depuis l’instauration des menus dans les lycées généraux et technologiques en 2018, le volume d’heures de l’ensemble des disciplines a baissé de 2,6 % (5). Pire, les mathématiques (-18,2%) et les sciences économiques (-13,6%) ont connu les plus fortes baisses dans les établissements généraux. Un comble dans le pays de Descartes, Pascal, et Condorcet. Déjà mal classé dans le classement PISA de 2018 (23e sur la seule discipline des mathématiques), la France devrait logiquement tomber un peu plus bas, puisque plus de 40 % des élèves ne font plus de mathématiques en terminale, et que la matière sort du tronc commun. Sans surprise, les lycéens issus de familles favorisées s’orientent davantage vers la spécialité « mathématiques » que les autres d’après Libération (6). Mais la baisse d’apprentissage des SES est tout aussi préoccupante. À l’aube de leurs 18 ans, nombre de lycéens ne connaîtront pas les mots « inflation », « productivité », ou ne feront pas la différence entre chiffres d’affaires et bénéfices. L’école républicaine s’est toujours pensée comme le pilier majeur de l’émancipation des futurs citoyens. En réduisant le temps d’apprentissage du français, des mathématiques, et des sciences économiques elle organise de fait sa propre déchéance. Une équation périlleuse et dangereuse où le bénéfice recherché semble être de « produire » des citoyens et non les élever. Un comble pour un système qui prétend promouvoir la méritocratie et l’ascenseur social.
La transmission face à l’entrisme parental et religieux
Au-delà des capacités brutes et pures de lecture à l’entrée au collège, l’Éducation Nationale n’est pas non plus capable de donner toutes les clés de compréhension à ses élèves, notamment en histoire-géographie. Un exemple criant de ce phénomène : la Seconde guerre mondiale. Si l’on suit scrupuleusement les manuels de 4e et de 3e, on y apprend que les États-Unis ont sauvé l’Europe et la France, elle-même complètement vichyste. Oublier les 26 millions de morts soviétiques et l’avancée de l’URSS sur Berlin, ne pas faire de différence entre le plus grand des collaborateurs et le paysan contraint de donner ses récoltes à l’occupant, oublier que les États-Unis voulaient coloniser le territoire français avec l’opération Overlord (suzerain, en français) avant que Charles de Gaulle et la France Libre ne haussent le ton face à Franklin Delano Roosevelt, oublier que la gauche et le parti communiste ont serré la main d’Hitler jusqu’en 1943 et l’invasion allemande de l’URSS, oublier que les premiers à rejoindre la France Libre étaient des monarchistes, des royalistes ou des nationalistes… Empêcher la totale compréhension de ces six années de guerre. Les faits, rien que les faits. Autre exemple en classe de 4e, le manuel d’histoire n’accorde que quatre pages à Napoléon Bonaparte, personnage historique français le plus connu au monde.
En plus de ces dimensions, le professeur, transmetteur de savoirs, se heurte aujourd’hui à la censure la plus perverse qui soit : la sienne. En décembre 2020, une enquête de l’Ifop menée pour Charlie Hebdo montrait que 49 % des enseignants s’étaient au moins une fois auto-censurés dans leur enseignement lorsque il concernait, de près ou de loin, des questions religieuses. Le pourcentage est d’autant plus spectaculaire qu’il est en hausse de 13 points par rapport à 2018, et fait évidemment écho à l’assassinat de Samuel Paty. Entre malaise profond et le « pas de vagues » institutionnel, certains professeurs semblent démunis, jouant le rôle d’équilibriste et tentant de remplir leur mission de transmetteur. Le cas de de Didier Lemaire est symptomatique de l’abandon de la hiérarchie, voire de l’État, pour le métier de professeur. Le « pas-de-vaguisme » atteint même son apogée lorsque les parents d’élèves s’immiscent dans l’École. Le Point a notamment publié un article montrant une augmentation significative de la contestation des parents envers les professeurs (6) depuis la fin du premier confinement. Si autrefois la figure de l’instituteur était sacrée, elle semble aujourd’hui au mieux normalisée, au pire méprisée. En plus des entrismes religieux et parental, les enseignants sont aussi confrontés à leurs propres supérieurs, tenants de la même idéologie « pas-de-vaguiste ». Dès 2013, une enquête de la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques) sur les conditions de travail en 2013 montrait que les enseignants étaient la première profession à « manquer de soutien de la part de sa hiérarchie » (7). Cela a notamment était le cas lorsque S. Paty, D. Lemaire et consorts ont décidé de transmettre leur savoir dans leurs cours.
Le dédoublement des classes, un grand pas pour l’Éducation
Elle était l’une des mesures phares du candidat Emmanuel Macron en 2017. Quatre ans plus tard, le dédoublement des classes de CP/CE1 dans les REP+ (réseaux éducation prioritaire renforcée) est une réussite. Fin septembre, la DEPP (Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance) a rendu un premier rapport pour faire le bilan de cette mesure. Les résultats sont concluants, avec notamment une nette progression en lecture pour les élèves de CE1. Les auteurs du rapport font également état d’une meilleure ambiance de classe. Face à ce premier bon constat, le temps long jugera effectivement cette mesure, même si l’Institut Montaigne souhaite aller plus loin. Le think tank milite pour que « les meilleurs enseignants soient placés devant les élèves présentant les plus grandes difficultés scolaires », en précisant que la promesse du candidat Macron d’envoyer des professeurs avec au moins trois ans d’ancienneté n’a toujours pas été engagée.
À moins de six mois de la prochaine présidentielle, l’École est reléguée derrière la sécurité et l’immigration lors des débats à l’investiture des Républicains. À gauche, le démantèlement du nucléaire passe devant les positions alarmantes de notre système éducatif dans les classements PISA. Plus que jamais, l’École doit retrouver ses lettres de noblesse pour redonner au pays sa grandeur en terme d’instruction.
Clément LABONNE
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