Voyage dans le cinéma israélien

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Temps de lecture : 5 minutes

 

Depuis Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein jusqu’à Parasite de Bong Joon-Ho, le caractère profondément politique que peut revêtir le cinéma n’est plus à prouver et en cette matière, depuis une vingtaine d’années, le cinéma israélien vient nous apporter une nouvelle leçon. La récente victoire du conservateur du Likoud Benyamin Netanyahu dont la dérive droitière au profit d’alliances avec les partis religieux pour maintenir son hégémonie ne doivent pas nous tromper, Israël est un jeune pays fondé par un vieux peuple avec une histoire très complexe que le cinéma ne cesse d’interroger. Comme souvent dans les pays fracturés et en quête d’identité, le cinéma est un miroir au cœur du corps social qui permet de mettre en lumière toute la complexité d’un jeune pays hanté par de vieux démons que le septième art entend bien exorciser. Depuis les années 1980, un nouveau cinéma critique et politique se développe grâce à des réalisateurs comme Amos Gitaï, Ari Folman ou Eran Riklis portés par une politique culturelle favorable à l’émergence de ce cimenta critique. Toutefois, ce remarquable essor commencé il y a plusieurs décennies pourrait bien s’achever dans les prochaines années…

 

La politique culturelle d’Israël

 

Nombreux sont les facteurs pouvant expliquer un âge d’or du cinéma dans tel ou tel pays, montée d’une nouvelle génération de cinéastes, crise politique, révolution culturelle… l’un des plus importants est sans doute la politique culturelle gouvernementale. Le cinéma coréen dont nous avons parlé dans un précédent article est un très bon exemple des liens entre politique culturelle volontariste et développement d’un cinéma d’auteur de qualité. Effectivement, le protectionnisme a permis de redistribuer des fonds à un cinéma d’auteur dont le succès n’a jamais été aussi grand. En France, c’est le rôle du CNC qui prélève une partie du prix du billet de cinéma pour redistribuer ces fonds, permettant à des films de se créer alors qu’ils ne le pourraient pas s’ils devaient compter sur le seul soutien des producteurs et des géants de l’industrie. L’évolution de la politique culturelle nous permet d’ailleurs de comprendre l’évolution des productions cinématographiques d’un pays…

La première période du cinéma israélien, le « réalisme sioniste » témoigne d’une conscience historique et politique monolithique, l’État a la main mise sur l’industrie et le septième art joue un rôle de propagande et d’édification des mythes fondateurs de la création de l’État d’Israël, comme ceux de « David contre Goliath » (le faible État hébreu contre toutes les puissances arabes) et « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». En 2010, Sabine Salhab écrivait ceci : « depuis 2001, le cinéma (israélien) jouit en effet d’une popularité croissante, aussi bien sur le territoire national qu’à l’échelle internationale. Cet essor est soutenu par deux facteurs principaux. Un financement interne grâce aux aides attribuées en amont par le Fonds de Soutien aux Films Israéliens, et une manne financière extérieure, facilitée par les nombreux accords de co-production noués par Israël avec l’Europe et les États-Unis ». En effet, la nouvelle loi sur le cinéma de 2001 a permis un meilleur financement des projets cinématographiques et a contribué au renouveau du cinéma israélien, de sa montée en qualité et de sa rencontre avec son public. C’est justement ce contre quoi le gouvernement actuel tente de lutter, un cinéma politique qui est dangereux pour son pouvoir.

Ainsi, une commission de 2018 conclue qu’il faut renforcer le contrôle politique du financement des films qui sont aujourd’hui la chasse gardée « des gauchistes » et qu’il faut mieux surveiller les thèmes traités. Une polémique illustre parfaitement ce qui se passe en Israël, celle autour de Foxtrot de Samuel Maoz qui traite d’une bavure de l’armée à un poste frontière et qui fut un succès public avec plus de 100 000 entrées. Ainsi, en 2018, la Miri Regev, ministre de la culture entre 2015 et 2020 et ancien officier de Tsahal a déclaré « C’est la preuve que l’État ne doit pas financer des films qui peuvent être utilisés comme des armes de propagande aux mains de nos ennemis ». Ce langage Maccarthiste de la part d’une ministre de la culture qui n’a pas vu le film qu’elle critique est certainement la pire chose qui pouvait arriver au cinéma israélien, qui, après plusieurs décennies d’essor pourrait retourner dans sa tanière à cause du non-financement et de l’auto-censure dans un climat démocratique qui se délite, rendant la prospérité du l’industrie cinématographique israélienne plus nécessaire que jamais…

 

C’est justement ce contre quoi le gouvernement actuel tente de lutter, un cinéma politique qui est dangereux pour son pouvoir.

 

Le discours antimilitariste du cinéma israélien

 

Il est coutume de dire qu’Israël est un pays en guerre, en effet, dès sa fondation en 1948 une première guerre éclate contre les Forces Arabes permettant au jeune État hébreu d’annexer une large partie de la Cisjordanie et Jérusalem-Ouest, le plan de partage de l’ONU n’aura pas duré longtemps. Comme l’écrit Alain Dieckhoff : « les circonstances hostiles qui présidèrent à la naissance d’Israël ont d’emblée donné à l’armée un poids déterminant comme garant de la survie du nouvel État. L’armée était d’ailleurs magnifiée non seulement pour son rôle de protection mais pour son action décisive – via le service militaire – dans la consolidation d’un sentiment national partagé. Israël devait être une nation en armes, et Tsahal devait être l’armée de la nation : en un certain sens, nation et armée ne faisaient plus qu’un ». D’ailleurs, le cinéma israélien des années 1950 est qualifié de réalisme sioniste (en référence au réalisme soviétique), de par sa volonté didactique au service du récit national sioniste, loin d’être un cinéma critique, il témoigne plus de la symbiose de tous les éléments du peuple juif à l’édification d’un nouvel État. C’est à partir des années 1980, après l’intervention israélienne dans la guerre du Liban (1982) que le cinéma israélien prend une tournure bien plus critique, particulièrement concernant la guerre car des réalisateurs comme Ariel Folman ou Samuel Maoz ont eux-mêmes été soldats et peuvent raconter leur expérience personnelles dans leurs films. C’est le cas avec le film d’animation acclamé Valse avec Bachir (Ariel Folman) où le réalisateur part à la recherche de sa propre mémoire perdue sur son expérience au Liban. Des films comme Shoah (C. Lanzmann) ou Le Chagrin et la Pitié (M. Ophuls) nous ont prouvé que le cinéma pouvait briser la chape de plomb qui enferme, dans son film très psychologique, qui traite la guerre de façon post-traumatique, A. Folman déconstruit le mythe d’une armée exemplaire et interroge la responsabilité de l’armée israélienne dans les massacres de civils palestiniens commis par les forces phalangistes chrétiennes dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatilla. L’intervention de l’armée israélienne au Liban marque un véritable tournant, voulant repousser les forces de l’OLP (Organisation de Libération Palestinienne) loin des frontières israéliennes, Israël envahit le Liban, s’éloignant de sa doctrine de défense qui était au fondements de son armée, Tsahal. Cette guerre, bien plus critiquée que les précédentes s’ancre aussi dans un contexte de crise économique et de renouvellement générationnel qui vont être le terreau pour le renouveau d’un cinéma contestataire en Israël, un cinéma qui ne cessera de s’affirmer comme anti-guerre.

 

Lumière sur les oubliés.

 

Selon Serge Ankri, les années 1980 sont le théâtre d’une remise en question globale du système de valeurs israélien et de l’hégémonie du discours fondateur sioniste avec l’apparition de nouvelles figures et de nouveaux acteurs mettant la lumière sur les groupes mis en marge depuis la fondation de l’État hébreu (sépharades, arabes-israéliens, immigrants…). Les années 1980 correspondent aussi à l’émergence des partis politiques arabes dans la vie politique israélienne qui vont s’allier avec la gauche, permettant de faire entendre à la Knesset des voix divergentes. Selon A. Dieckhoff, on assiste dans le champ culturel et intellectuel des années 1980 au « passage d’une conscience historique homogène à une conscience historique hétérogène, autrement dit, le passage d’une version unique à une multiplicité de versions, […] le passage d’une conscience historique nationale « consensuelle » à une conscience historique conflictuelle ». On voit alors l’affrontement croissant de deux tendances politiques qui vont s’affronter, la première est celle qui semble l’emporter politiquement aujourd’hui, la logique néo-sioniste, identitaire, nationaliste et ultrareligieuse qui prône l’annexion de toute la Cisjordanie contre le post-sionisme, une tendance universaliste qui prône un état véritablement laïc et la fin de l’expansion des frontières d’Israël. C’est dans cet héritage que s’inscrivent les nombreux films dont le sujet principal est les conflits entre israéliens et arabes.

 

On assiste dans le champ culturel et intellectuel des années 1980 au « passage d’une conscience historique homogène à une conscience historique hétérogène, autrement dit, le passage d’une version unique à une multiplicité de versions »…

 

Deux films s’inscrivent dans cette volonté, le premier est Ajami de Scandar Copti et Yaron Shani, c’est d’ailleurs une coréalisation arabo-israélienne, fait suffisamment rare pour être noté. Placé dans le quartier multiculturel d’Ajami dans la ville de Jaffa (agglomération de Tel-Aviv), ce film nous conte trois histoires de survie entre vengeances tribales, trafic de drogue et vengeance personnelle qui s’entremêlent. Loin des quartiers d’affaires de Tel-Aviv, on découvre une réalité plus cruelle façonnée par des assassinats ciblés menés par des bédouins spécialistes du racket et autres crimes, un environnement mortifère pourri par les logiques claniques qui semblent indépassables, accentuant toujours plus un repli communautaire qui progresse en même temps que les inégalités sociales. La grande qualité de ces films d’auteurs est qu’ils nous montrent la couche basse de la société israélienne, à l’instar de Mon Fils (2015) de Eran Riklis où on suit Eyad, brillant élève arabe qui intègre un prestigieux établissement israélien et s’adapte progressivement à cette nouvelle vie. Dans le cadre d’activités de bénévolat, il rencontre Yonathan, lycéen handicapé dont il va adopter l’identité, seul moyen pour lui de s’élever dans la société israélienne. Ces films d’auteur critiquent nous dévoilent d’autres facettes de la société israélienne, des histoires d’amour cachées entre un homme et une femme de deux religions différentes, des usurpations d’identité, la vie de tout un prolétariat composé de palestiniens clandestins ou d’arabes israéliens qui falsifient leur identité pour pouvoir vivre décemment.

C’est cette diversité de la société que s’est mise à raconter le cinéma israélien et c’est ce qui fait toute sa richesse et sa qualité.

 

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Pierre de Chabot

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