Comment devient-on De Gaulle ? – Entretien avec Jean-Luc Barré

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Jean-Luc Barré est éditeur, écrivain, historien et auteur du livre Devenir De Gaulle. Dans la rédaction de celui-ci, des sources méconnues lui ont été prodiguées. Nous vous invitons dans cet entretien à plonger dans la vie de De Gaulle, ses racines idéologiques, et à comprendre enfin, comment devenir De Gaulle…

Version audiovisuelle :


Version manuscrite :

Gavroche : Monsieur Barré, vous êtes l’auteur d’une biographie passionnante sur Charles De Gaulle. Dans quelle mesure l’imaginaire lié à ce personnage est-il présent dans l’inconscient des Français ?  

J-L Barré : Moi je ne dirais pas dans l’inconscient, je dirais au contraire dans quelque chose de très concret. Il reste certes quelque chose qui relève du mythe, d’un mythe qui n’a pas été imité et qui est tout à fait unique, notamment celui du héros de juin 1940. Cependant il y aussi l’homme qui a su incarner une certaine idée des choses, une idée du destin de la France. De Gaulle n’était pas seulement un visionnaire, c’était aussi un acteur, un homme d’État, qui a incarné au plus haut point l’idée de la France à un moment où celle-ci s’effondrait. Il a porté à bout de bras cette France pour lui faire croire encore qu’elle était un grand pays. Il a réussi, d’ailleurs, puisque la France s’est retrouvée en 1945 à la table des vainqueurs.

De Gaulle reste un exemple très fort -au-delà de la classe politique- de symbole de grandeur et d’unité (même s’il a été parfois un peu dérangeant comme l’illustre la guerre d’Algérie). Il nous reste de lui quelque chose de très fort, qui, encore une fois, n’a pas été dépassé. Il est en même temps un mythe et un modèle de puissance politique.

Cet imaginaire a tendance à gommer ce qu’il y avait d’exigeant chez lui. Ce n’est pas simple d’être De Gaulle, et ce n’est pas simple d’être gaulliste. Est-ce qu’être gaulliste ça veut dire être souverainiste ? Moi je ne suis pas très sûr de ça. Je pense qu’il a incarné déjà si fortement une exigence souveraine qu’il n’y a pas besoin d’être souverainiste pour être gaulliste. Mais on peut estimer aussi qu’après De Gaulle une certaine idée de la souveraineté nationale s’est diluée. C’est un symbole exigeant et c’est un imaginaire exigeant. On ne peut pas piocher dans le gaullisme simplement des références, se contenter de ça.

Enfin, une des singularités de De Gaulle, c’est son pragmatisme au plus haut niveau. Il y avait un mot-clé chez De Gaulle, c’est « les circonstances ». Autrement dit, une bonne politique est une politique fondée sur l’exigence des principes, mais qui tient compte des circonstances.

 

Gavroche : Est-ce qu’avec De Gaulle on peut parler du redressement moral de la nation ?

J-L Barré : Oui, il n’y a pas l’ombre d’un doute ! Il faut voir dans quel état la France se trouve en 1940. C’est l’effondrement. On pactise avec les nazis. Très vite, la collaboration s’est trouvée être un acte politique, et non pas seulement la certification de la défaite. C’est donc un effondrement moral. De Gaulle lui jette une forme de défi, sur la base de l’idée de la grandeur qu’il se fait du peuple français. Par la suite, dans ses relations avec les alliés, il incarne également une volonté nationale que peu de gens ont incarné.

Il faut bien voir qu’entre 1940 et 1945, il y a un affaissement français sur le plan moral, qui passe à la fois par la collaboration et la résignation. Certains trouvent en effet que la France pourrait, au fond, très bien se contenter d’être un espèce de pays satellite entre les mains des Américains. C’est d’une certaine manière le camp du général Giraud et des anti-gaullistes, qui n’étaient pas pour autant des collaborateurs. Et bien ce n’est pas ça du tout ce que De Gaulle a voulu.

Le général a aussi, je le crois, incarné cela en 1958 . La Quatrième République était le régime politique d’une certaine décadence, qui passait notamment par une dépendance accrue à l’égard des alliés. De Gaulle a incarné un sursaut. Il y a chez lui -peut-être pas une morale – mais une éthique de la politique. Je ne dirais pas « moral » car c’est un homme qui est capable, quand la situation l’exige, de savoir combattre ses rivaux. Il sait être machiavélique et cynique. Mais dans le même temps, il y a dans son mode de vie une exigence. Il y a une éthique dans le gaullisme, qui est aussi propre au général mais qui peut encore nous influencer aujourd’hui.

 

Gavroche : Vous avez évoqué le destin de la France. Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une dimension providentielle chez De Gaulle, ou bien est-ce que c’est lui qui a façonné les évènements ?

J-L Barré : Moi je ne crois pas du tout à la Providence chez De Gaulle. Je crois au contraire qu’il y a une volonté très forte, qui est liée d’abord à l’idée qu’il se fait de son destin. De Gaulle a écrit un texte clé qui s’appelle Le fil de l’épée. Si vous voulez comprendre le général, il faut commencer par ça. Il y aussi une construction personnelle. Elle consiste à projeter son destin. Quand il écrit Le fil de l’épée, en 1932, il a 42 ans. Son destin va commencer autour de ses 50 ans. Et ce destin, il le construit en inventant un personnage, qui est De Gaulle. Il l’a inventé très tôt d’ailleurs, car à l’âge de 15 déjà, il parlait de De Gaulle.

C’est l’homme du destin qu’il construit. Il sait bien que tôt ou tard le soldat qu’il est deviendra sans doute un homme d’État, et quittera son premier statut pour incarner la nation. Et cette nation est en péril : il le prévoit très bien, en 1932, ce qui d’ailleurs n’était pas très compliqué à prévoir. A cette date, on voit très bien monter les périls : le nazisme est à la porte, il y a déjà le fascisme, et il y a la montée des totalitarismes. Il sait très bien que la France n’est pas du tout en mesure de répondre à ces défis, et il conçoit un personnage qui, le moment venu, entrera en scène, qui, le moment venu, sera là. Donc on peut dire qu’en 1940 il est prêt : il a déjà tout préparé, tout prévu. Tout ne sera pas aussi simple, mais il n’y a pas de Providence chez De Gaulle. Il y a une volonté très forte, qui vient de l’idée qu’il se fait de lui-même et de la France, les deux étant confondus.

Par ailleurs, il y a De Gaulle, et il y a Charles. C’est-à-dire qu’il y a l’homme, qui d’ailleurs a une vie simple, qui ne se fait pas sans doute une grande idée de lui-même, mais qui se fait une grande idée de De Gaulle. Parce que ce personnage-là, un peu fictif (c’est un homme de théâtre), il l’a inventé. Et puis, ce quasi-anonyme, qui était un général à titre provisoire au début de la guerre, a ce nom mythique, invraisemblable ! Vous savez qu’à l’époque on n’y croyait pas, il y a des gens qui pensaient que c’était un pseudonyme. Mais ce que je veux dire c’est que tout est prêt, il n’y a pas de hasard. Et vous savez, quand on décide de quitter Bordeaux, comme il le fait le 17 juin 1940, il y a une rupture. Comme à tous les moments de sa vie, il a forcé les évènements. Il ne doit rien au hasard, ni à la Providence.

 

Gavroche : Vous évoquez la construction du personnage, or il est souvent dit que les maîtres à penser de De Gaulle sont Péguy, Barrès, mais aussi Maurras. Dans quelle mesure l’on peut dire que ce courant de pensée, proche de l’Action Française, a influencé idéologiquement le jeune De Gaulle ?

J-L Barré : D’abord, le mot « maître à penser » me paraît bien excessif pour De Gaulle. Mais ses références intellectuelles sont très variées et nombreuses. On y compte d’abord Péguy, qui a inspiré chez lui une sorte de fibre sociale. Puis Bergson pour l’élan vital, Châteaubriant pour le style, et un peu Edmond Rostand pour le théâtre. Il y a un peu un côté Cyrano de Bergerac de temps en temps chez De Gaulle (il lisait beaucoup Rostand, il a même écrit du théâtre). Parmi ses références, il y a également Nietzsche. Et enfin, il y a Maurras, bien que ce soit très ambigu. Il est un lecteur de Maurras, comme ses parents. Son père et sa mère étaient monarchistes. Vous savez, il a un mot assez génial, il disait « Maurras est devenu fou à force d’avoir raison ». Et ce mot résume tout ce que pense De Gaulle : il pense que Maurras a vu clair, notamment sur la politique étrangère. Pas forcément sur le plan intérieur, parce qu’en fait il n’est pas favorable à une restauration monarchique. De Gaulle sait très bien que la monarchie est derrière nous. Et puis il lui est difficile d’imaginer la restauration avec des énergumènes comme le comte de Paris. En 1965, au moment où il se représente à la présidence de la République, la rumeur court qu’il soutiendrait le comte de Paris. Il répond alors : « et pourquoi pas la reine des Gitans ? ». Ça veut tout dire.

Par contre il avait une certaine idée d’une République monarchiste, ou d’une monarchie républicaine comme vous voulez. Donc on voit bien l’influence de Charles Maurras. Toutefois, le comportement de Maurras en 1940, la « divine surprise », l’antisémitisme, et tout ce que l’on sait, l’a tout de même éloigné de celui-ci. Donc on peut dire qu’il y a une admiration pour une certaine pensée de Maurras, puis une prise de distance très forte à partir du moment où Maurras se compromet peu ou prou avec l’occupant.

 

Gavroche : Pour rebondir sur cette idée, pensez-vous que la Cinquième République, conçue pour et par De Gaulle, soit encore pertinente à l’heure actuelle ?

J-L Barré : C’est un peu à la mode de vouloir changer la République. Moi je n’ai pas compris ce que la Sixième République voulait dire, sinon un retour à la Quatrième. Je crois qu’il n’y a pas 36 façons de faire. Je crois De Gaulle a compris une chose, c’est que la France a besoin d’un pouvoir fort. La question est de savoir si le pouvoir est toujours fort aujourd’hui, mais dans ce cas on s’intéresse à la pratique du pouvoir, pas aux institutions. Le régime de la Cinquième a fait ses preuves dans des périodes extrêmement critiques, notamment la guerre d’Algérie, et tout ce qu’on a pu traverser depuis 1958. Il correspond à ce qui est pour moi l’identité de la France, à savoir un pays qui a été modelé par la monarchie et qui est aussi républicain par son histoire. Il concilie finalement ces tendances très contradictoires qui font l’histoire de France. Mais c’est un régime évidemment exigeant, qui demande à être incarné. Et aujourd’hui, le problème, c’est que ce n’est plus le cas. Ce n’est pas seulement Macron, ce sont aussi Sarkozy, Hollande, peut-être un peu Jacques Chirac (encore que je pense qu’il a incarné la fonction du mieux qu’il a pu, et plutôt bien), je pense qu’il y a un affaiblissement de la classe politique, qui rend encore plus problématique le fonctionnement de la 5ème République.

Mais enfin, s’il s’agit de retourner au régime d’assemblée, qu’on le dise ! Je vois qu’on propose parfois la proportionnelle. Très bien, sauf que la proportionnelle c’est le « foutoir » comme aurait dit De Gaulle. On ne pourra plus prendre aucune décision. Et regardez la situation dans laquelle on vit aujourd’hui : on est dans un État d’exception quelque part. Si les décisions ne sont pas prises au plus haut niveau de l’État, alors on va revenir à des systèmes antérieurs. Je ne vois pas d’alternative. On peut toujours améliorer, avec un système présidentiel peut-être, mais l’essentiel c’est qu’à un moment l’autorité soit incarnée par un exécutif. Mais je ne crois pas qu’il faille retourner à un système politique où les partis -surtout vu l’état dans lequel ils sont aujourd’hui- soient maîtres du jeu. C’est évidemment faire le contraire de ce qu’a fait De Gaulle.

Dans ce pays, on essaye toujours de tout changer lorsqu’il y a une crise. Une des mesures qu’on a pris pour soi-disant pallier à la crise du politique, c’est l’instauration du quinquennat. Le quinquennat est une aberration, car il raccourcit le temps présidentiel. C’est un système dans lequel les hommes sont vite épuisés. Il n’y a plus le temps du pouvoir, comme c’était le cas sous le septennat gaullien. De Gaulle s’est peut-être trompé sur un certain nombre de sujets, mais je pense que sur les fondamentaux, il faut rester à ce qui a fonctionné, fait ses preuves malgré tout depuis 1958. Et surtout ne pas être pris d’une forme de fièvre réformatrice, sur des sujets qui ne feront rien avancer du tout.

 

Gavroche : Quels sont les liens entre De Gaulle et la Résistance, à quel point maîtrise-t-il la Résistance ?

J-L Barré : C’est une longue histoire. Si je devais résumer les choses, je dirais qu’il n’est pas préparé à l’idée que la riposte à l’ennemi se fasse autrement que par l’usage d’une armée régulière. C’est un soldat pour qui les idées de factions ou de mouvements de résistance, qui échappent au contrôle de tout le monde -et du sien en l’occurrence-, sont toujours un peu suspects. Donc il n’est pas favorable spontanément à une forme de résistance, qui plus est en France intérieure, et donc assez loin de lui. Il n’est pas contre, mais a le sentiment de quelque chose qui n’est pas facile à maîtriser. On n’est pas dans une guerre normale. C’est plus facile pour De Gaulle lorsque les combats se passent en Afrique du Nord ou ailleurs, car on est dans des formes de combat classiques. Encore une fois, c’est un soldat qui n’est pas préparé à l’idée d’une dissidence, même si lui-même est un dissident.

Après, il comprend une chose : s’il veut incarner la France, il faut qu’il soit le rassembleur. Et c’est là où Jean Moulin joue un rôle très important. Jean Moulin lui apporte la Résistance d’une certaine manière. Il faut que De Gaulle intègre toutes les données de la guerre, de la France. Ce qui veut dire que l’homme qu’il est, c’est-à-dire un homme plutôt à droite à l’origine, va s’ouvrir à tous ces mouvements de gauche qui font la Résistance. Y compris au Parti Communiste, à partir de 1941. Et devenir De Gaulle c’est aussi ça : c’est-à-dire incarner la France dans toutes ses dimensions, toutes ses variétés, toutes ses composantes, tous ses courants de pensée. Au fond, dans la France Libre, vous aurez autant une droite maurrassienne que des gens qui sont à gauche, voire très à gauche, comme Jean Moulin l’était. Donc De Gaulle a le génie politique de comprendre que la Résistance, un peu maîtrisée si possible (d’où la création du CNR), est quelque chose d’essentiel pour rassembler les Français autour de lui.

On peut dire qu’en 1944, De Gaulle va tout de même mater cette Résistance. Il veut que tout le monde rentre dans le rang, et s’y prend parfois de manière un peu brutale. Ça se voit dans ses tournées, à Toulouse ou Bordeaux. Ce n’est pas pour autant du mépris, mais la nécessité de l’amalgame entre la Résistance et les forces armées régulières. D’une manière générale, la Résistance n’est pas forcément compatible avec une certaine idée que De Gaulle se fait de l’État. Il a mesuré le courage de tous ces mouvements, mais en même temps, il n’a eu de cesse de les faire rentrer dans le rang.

 

Gavroche : Comment peut-on comprendre la rivalité entre Giraud et De Gaulle ? Comment De Gaulle est-il arrivé à le supplanter ?

J-L Barré : Parmi les créatures des anglo-américains, il y a Giraud. Giraud est un général qui s’est battu en 1940 et qui a été fait prisonnier. Il s’est évadé d’une forteresse allemande, semble-t-il grâce aux Anglais. Mais son premier acte une fois libéré n’est pas d’aller à Londres ou à Alger, c’est d’aller à Vichy. Non pas qu’il ait collaboré, mais il rejoint l’État français. Il rencontre le maréchal Pétain, qui lui reproche presque de s’être évadé. Donc Giraud va finir par aller à Alger, où le maître des lieux s’appelle Darlan. Ils se mettent d’accord sur un point : tout sauf de Gaulle.

De Gaulle n’est plus général en 1940, et puis il fait de la politique. Il incarne l’État. Giraud, lui, est resté à son stade de soldat (pas très brillant d’ailleurs, mais ce n’est pas le sujet).  Il n’empêche qu’il a pour lui ce que n’a pas De Gaulle, c’est-à-dire le soutien des Américains et des Anglais. Churchill et Roosevelt préféraient Giraud. Ils se mettent d’accord sur une solution de compromis, une solution de tutelle, afin d’éviter que la France redevienne la France. A ce moment, De Gaulle joue une autre carte, en s’appuyant sur la Résistance.

Au moment où se constitue un exécutif bicéphale à la tête de la France Libre, entre Giraud et De Gaulle, Churchill s’inquiète. Il dit au général, en parlant de Giraud : « mais vous allez le dévorer d’un coup ». De Gaulle lui répond « Non, non, je procéderai feuilles à feuilles ». Et c’est effectivement comme ça qu’il va le déposséder de son pouvoir, petit à petit. Il lui ôte tout autorité. De Gaulle a pour lui la légitimité de 1940, et l’unité de la Résistance va se faire autour de lui, et non pas pour autour de son rival.

 

Gavroche : Quelles sont les relations entre le maréchal Pétain et De Gaulle, et comment les comprendre ?

J-L Barré : Il y a plusieurs étapes. D’abord, Pétain est un peu le parrain de De Gaulle, il voit que c’est un soldat prometteur. Il le fait entrer comme conférencier à l’École de Guerre, alors qu’on se méfie déjà un peu de lui dans l’armée. Pétain avait distingué De Gaulle, et De Gaulle considérait que Pétain était grand soldat. Jusqu’en 1925, il y a une relation d’affection. Le maréchal va jusqu’à prendre De Gaulle comme son « nègre ».

Et puis, en 1925, a lieu le limogeage du maréchal Lyautey de son poste au Maroc, où celui-ci avait mené une politique coloniale tout à fait remarquable. Pétain prend sa place. De Gaulle dira alors que Pétain est « mort » ce jour-là. Il considérait qu’il y avait une certaine médiocrité dans cet épisode. Par la suite, De Gaulle sort de sa condition de « nègre » et fait éditer sous son nom La France et son armée, que le maréchal lui avait pourtant commandé. Il est déjà en rébellion. Et puis arrive l’épisode de 1940.

Je croix qu’il reste effectivement entre eux une relation d’affection et de déception mutuelle. Lorsqu’arrive le procès de Pétain, De Gaulle juge impensable la condamnation à mort de celui-ci. Il incarne en effet une certaine histoire, notamment Verdun. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1940, lorsque De Gaulle est déchu de la nationalité et lorsque ses biens sont confisqués, la rupture entre les deux hommes est totale. On ne peut être De Gaulle que dans la radicalité, il n’y a pas de compromis.

 

Gavroche : Quelle rôle joue la famille De Gaulle auprès de Charles ?

J-L Barré : Je ne trouve pas que la famille ait joué un rôle. Son épouse certes, mais discret. Elle incarnait les Français, et son mari incarnait la France. Il y a chez Yvonne De Gaulle quelque chose de très français : la simplicité et le bon sens. Elle aimait profondément son mari. C’est Philippe De Gaulle qui me disait un jour : « au fond, ma mère n’a aimé que mon père ». Les enfants un peu moins. C’est une femme qui semblait effacée mais qui avait beaucoup de caractère. Elle donnait à son mari beaucoup de conseils, qu’il ne respectait pas toujours d’ailleurs.

Yvonne est un peu à l’ombre du grand homme, mais elle donne une belle image de ce que peut être une famille française. La présence d’Yvonne est une présence sûre, qui participe du mythe, mais à une place particulière. La famille est à sa place, et c’est important de le comprendre. Elle n’a pas véritablement joué un rôle.

 

Gavroche : Finalement, comment devient-on De Gaulle ?

J-L Barré : Premièrement, en l’ayant toujours été. On sait comment Richelieu est devenu Richelieu. Mais De Gaulle est un mystère. Il l’a toujours été car il s’est toujours destiné à ce rôle-là. A l’âge de 15 ans, dans une rédaction, il imagine un général De Gaulle qui prend la tête des armées françaises contre la Prusse. Donc je pense qu’on devient De Gaulle lorsqu’on l’a toujours été, lorsqu’on a une certaine idée de soi, et une certaine idée de son pays.

Chez De Gaulle, il n’y a pas d’ambitions personnelles. Dès qu’il a eu l’occasion de quitter le pouvoir, il l’a quitté. On n’est pas dans l’ambition de carrière, comme chez les politiques. Il faut donc une certaine idée de soi, de son pays, et sans doute une grande culture. Il faut une grande culture historique, et le sens de l’identification aux grandes figures de l’histoire. Vous savez, il y a une formule de De Gaulle : « mais je dis ça depuis mille ans ». C’est une manière de dire qu’il est aussi Philippe Le Bel, qu’il est aussi Louis XI. Il a su faire la synthèse des grands personnages de l’histoire. Cela suppose aussi d’être préparé à un rôle, mais à un rôle qui interviendra à un moment décisif.

Je pense que c’est un peu inimitable. Pour Churchill ou Roosevelt, De Gaulle avait un côté un peu « dingue ». D’ailleurs ils disaient qu’il se prenait pour Jeanne d’Arc. Mais oui, c’est parce qu’il se prenait pour Jeanne d’Arc qu’il est devenu De Gaulle. Un esprit rationnel ne peut pas tout à fait le comprendre. Il y a une dimension romantique dans le personnage. De Gaulle c’est une invention presque littéraire, d’ailleurs ce n’est pas pour rien que c’était aussi un excellent écrivain. Il y a un sens de l’esthétique, et un sens du verbe. On regarde encore ses conférences de presse comme des chefs d’œuvre oratoires. Quand on l’entend parler de la Chine, c’est presque un cours magistral.

Et j’oublie quelque chose de très important, c’est le lien avec le peuple. Comme souvent chez les aristocrates, il avait un lien étroit avec le peuple (mais pas forcément avec la bourgeoisie). On pouvait le comprendre, le détester, l’aimer, mais c’était au-delà des questions sociales et économiques. C’était une forme de communion avec le peuple.

Propos recueillis par Elouan Picault

 

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