Ce mercredi 24 mai, Le Parisien rapportait les propos du président de la République lors du conseil des ministres de la veille. Celui-ci déplorait un « mouvement de décivilisation » de la société française, un regain des « pulsions », « le mouvement inverse » de la civilisation les ayant combattues dans l’espoir de construire une communauté apaisée. Traduisons-le : le peuple est idiot et la populace est violente. Croyant faire de l’esprit, Emmanuel Macron s’est pris pour Jean-Jacques Rousseau mais n’a fait que donner raison aux affabulations de l’extrême-droite. Dans ce contexte de tensions politiques et sociales, il n’y a qu’un seul responsable. Retour sur la pente délétère qu’emprunte le pouvoir.
La peur au ventre
Il aurait pu dire ceci : « je n’entends pas vos cris, je ne vois pas vos larmes », avant d’ajouter, fidèle à lui-même, « venez me chercher ». S’il ne l’a pas fait, Emmanuel Macron a du être retenu dans sa démarche. Le Petit Chose de Daudet, qui n’a pas la carrure pour un pays comme la France, qui n’a pas la clairvoyance pour un peuple comme le nôtre, provoque à défaut de créer, détruit à défaut de construire, fait du bruit au lieu de composer. La décivilisation qu’il déplore entre au Panthéon de ses coups de communication dont les macronistes ont le secret.
Toutefois, il convient d’en rappeler le contexte. Dans une France agitée par la réforme des retraites, dont le pouvoir croit sûrement l’affaire étouffée mais dont l’humiliation, énième injure à la face du peuple, n’a fait que le déshonorer davantage, les violences à l’encontre des élus s’enchaînent. Naturellement, par le fait sûrement d’un malheureux hasard ou, peut-être, le passage en force d’une mesure dont laquelle personne ne voulait, les élus Renaissance se retrouvent en première ligne. Aux titres des violences politiques auxquelles ils font face, d’insoutenables coups de force portés notamment sur les parlementaires de l’Assemblée nationale.
Ainsi, Violette Spillebout, députée du Nord, devait faire face à son portail muré de trois briques et quelques cris de militants syndiqués : « Tout le monde déteste Violette Spillebout ! » Une atrocité. Plus tard, Jean-Marc Zulesi, député des Bouches-du-Rhône, devait être suivi sur près de dix mètres par des manifestants tapant sur des poêles et des casseroles. Assurément, l’ambiance avait des airs d’attentat. Enfin, l’affaire qui aura le plus fait parler d’elle est sûrement l’arrivée de Pap Ndiaye en gare de Lyon, accueilli par un concert d’ustensiles de cuisine, une « casserolade » dont les Français et leur art de la gastronomie ont le secret. Dans la peur de se faire cuisiner, le ministre de l’Éducation se fit « exfiltrer » par une porte dérobée. Pas vu, pas pris ! Les gueux peuvent crier que s’ils ne sont pas entendus, leur peine ne peut exister. La légende raconte que les députés Renaissance ne s’approchent plus d’une cuisine sans faire de crise d’angoisse.
La violence envers les élus de la République est inacceptable. La gifle que devait subir Emmanuel Macron en 2021 aura été condamnée par quiconque est un républicain. Mais à mal nommer les choses, l’on en ajoute au malheur du monde : pleurnicher sur les réseaux sociaux pour quelques bruits de casserole, quand on ajoute deux ans de travail à des vies usées, quand on détruit peu à peu le modèle social qui fait la fierté de la France, c’est le comble du ridicule et de la bêtise, le sommet de la lâcheté, de la pleutrerie, de la misère du courage. Reprocher aux Français de ne pas vouloir discuter quand on les assaille, de se rendre compte que la discussion n’est pas la même sur un marché qu’au palais Bourbon, ressemble à se heurter violemment sur le mur du réel. Jaurès, Doumer, Carnot, Clemenceau, de Gaulle et bien d’autres faisaient face à des tentatives d’assassinat, parfois réussies, et les députés du XXIe siècle tremblent devant des cocottes. Il y a eu les chouans, il y a eu les collabos, et maintenant, il y a les couards.
La récupération de faits-divers
Ceci étant dit, pour la République, la situation n’est pas au beau fixe. Si sa première ennemie est la violence politique, alors celle-ci doit être inquiète. Le 22 mars 2023, le maire de la commune de Saint-Brévin-les-Pins, Yannick Morez, voyait son domicile incendié alors qu’il y dormait avec sa femme et ses enfants, devenant la victime de ce qui peut être qualifié cette fois d’attentat pur et simple. En cause, un centre pour les réfugiés que le maire, appartenant à la mouvance divers droite, voulait implanter dans sa ville. Nul doute que la tentative de meurtre y est associée, et nul doute encore que l’extrême-droite en est à l’origine. Très logiquement, l’ensemble de la politique française condamne immédiatement le drame et annonce son soutien au maire, par ailleurs démissionnaire.
Si de nombreux internautes se sont insurgés du soutien tardif de la Première ministre, Élisabeth Borne, celle-ci reçu Morez à Matignon quelques jours après les événements. C’est d’ailleurs ici l’occasion de rappeler à quelques personnalités que la vie réelle ne se passe pas sur Twitter et qu’un tweet n’a pas de valeur politique. Chose entendue, ou du moins devinée, par le rassemblement du 24 mai auquel participèrent l’ensemble des forces de gauche. La droite et le « centre », et donc l’ensemble des droites, en étaient absentes. Morez y dénonça une récupération politique et annonça ne pas s’y présenter. S’il faudra soutenir tous les élus de la République ayant subi d’aussi graves préjudices, et si les républicains, qui plus est de gauche, seront toujours au rendez-vous au moins dans leur cœur, Morez est la preuve qu’on peut être maire et profondément stupide.
Et cette infirmière agressée au CHU de Reims, avec sa collègue, la jeune Carène, qui devait perdre la vie dans des circonstances aussi injustes, ne connaîtra pas les commentaires d’Olivier Véran le soir-même : « Il n’y a plus de limites, plus de frontières à cette exposition de la violence. » Des propos qui ne sont qu’une énième instrumentalisation de faits utilisés pour instaurer un climat de terreur. En 2022, la France voyait commis 948 homicides sur son sol, 84 500 violences sexuelles, 353 600 coups et blessures, et voilà que c’est encore la faute de cette société, décidément violente et toujours plus nauséabonde. S’il est démagogue de tenir le gouvernement pour responsable de l’ensemble de ces chiffres, il convient de préciser que la seule instance permettant d’empêcher à des femmes comme Carène ou à des hommes comme Paty de perdre la vie, c’est la puissance publique trop occupée à réformer les retraites et condamner avec des airs de matamores d’inoffensifs charivaris.
Enfin, le terrible accident qui devait ôter la vie à trois policiers, à Villeneuve d’Ascq, allait aussi être le terrain d’un « affrontement politique ». Alors que la mémoire des gardiens de la paix, percutés de plein fouet par un chauffard récidiviste sous l’emprise de l’alcool, devrait réunir sans aucune appartenance partisane, les macronistes et obsédés de l’extrême-gauche se sont précipités sur les propos de Jean-Luc Mélenchon tenus à Tourcoing, non-loin du lieu du drame. Le chef de la France insoumise y tenait un rassemblement de soutien aux salariés de Vertbaudet, ayant discouru sur la tragédie en rendant hommage aux victimes des rangs de la police, celui-ci avait fustigé, de nombreuses lignes plus tard, la violence dont celle-ci a fait preuve lors des manifestations contre la réforme des retraites. Si l’ancien candidat à la présidentielle s’est fait piéger à son propre jeu, celui d’avoir aussi ouvertement et injustement critiqué l’ensemble de l’institution policière et le sérieux de la question de l’ordre public, il est impossible de nier le caractère violent de la répression des événements qui touchent le paysage social depuis janvier. Ce « climat de violence » qui faisait déjà dire à Roger Gicquel que « la France a peur » en 1976 est bien pratique pour renvoyer aux oubliettes les propos dérangeants.
Le véritable danger reste celui de l’extrême-droite
Si de nombreux faits-divers souffrent ainsi d’une récupération et d’un étalement de l’affaire aux yeux de tous les Français, d’autres événements, par choix médiatique, passent inaperçus. Ces épisodes pourtant extrêmement inquiétants pour la santé de la République et de la démocratie continuent s’enchaînent et s’aggravent en toute impunité. Il s’agit de la montée de l’extrême-droite sur la scène politique française.
La vraie, l’unique. Il n’en existe qu’une, qui se divise habilement entre celle qui ira à la conquête du pouvoir par les urnes et celle qui maintiendra sa colère dans les rues à coups de barres de fer. Ainsi, à Lyon, la situation devient alarmante. Parce que les républicains et la gauche ont trop longtemps baissé la garde, des groupuscules naquirent des cendres de ceux qui pourrissaient déjà la cause sociale, dont le plus connu de tous est Génération identitaire, mouvement dissout en 2021. Sage décision. C’est dans la Cité des Gones que le 27 avril des militants d’extrême-droite devaient agresser des manifestants clamant leur opposition à la réforme place des Jacobins. La préfecture ayant interdit le rassemblement des manifestants, les fous-furieux pensèrent plus juste d’aller à leur rencontre afin de les punir. Une simple casserolade devait se transformer en chasse à l’homme avec les citoyens dans le rôle des proies.
À Lille, le bar de la Citadelle reste le fortin d’un assemblage de frustrations réactionnaires baignant dans la bière belge et la rancœur nazie et monarchiste. Le documentaire Generation Hate, réalisé par Al-Jazeera, infiltrait l’endroit pour en ressortir les pires horreurs : entre les saluts fascistes, les « Troisième Reich ! » étouffés dans le houblon et les « carnages à y faire » dans les mosquées, quelques anti-républicains y dissertaient volontiers sur des projets d’attentats. Bien que la réaction de Martine Aubry, maire socialiste de Lille, fut immédiate et sans bavure, le bar dont l’emplacement au milieu d’une cours intérieure suggère les tendances mystérieuses ne sera pas fermé. La défense est obscène d’audace : « Ces propos de personnes illégitimes ne sont pas représentatifs de l’établissement. »
Dans tout ce bourbier, allant du simple réactionnaire désabusé par la gauche de François Hollande jusqu’au plus radical des nazis, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a l’embarras du choix concernant l’ennemi. Pas l’adversaire : l’adversaire est celui qui veut la République autrement, mais l’ennemi ; car l’ennemi ne veut pas de la République et celle-ci ne veut pas d’elle. Dans ce tourment, alors qu’à Toulouse, Montpellier, Paris et Nantes montent les dangers réels d’une droite autoritaire voire d’un fascisme véritable, le député du Nord choisit de frapper l’extrême-gauche.
En 2020, déjà, il dénonçait « l’ensauvagement de la société ». Emmanuel Macron avait d’ailleurs annoncé qu’il serait « intraitable », et continue de le brailler comme le faisait avant lui un certain Louis XVI, qui aurait aimé être surnommé « le Sévère ». Le coup le plus grave fut néanmoins celui du « terrorisme intellectuel », mot porté contre la gauche dans son ensemble pour son combat contre la réforme de Borne. La violence est là, la haine est ici, elle se révèle quand le ministre de l’Intérieur du pays n’est plus qu’une barricade entre la population et son gouvernement, quand le ministre de l’Intérieur en France se réclame de Clemenceau, dreyfusard parmi les plus combattifs, mais qu’il menace de couper les financements de la Ligue des droits de l’Homme, fondée justement pour la défense du capitaine. « Juste pour le plaisir de la provocation délibérée, laissons-lui le dernier mot », écrivait Pascal Riché dans L’Obs. Bientôt, cela ne suffira plus. Irresponsable, nous voulons sa chute, quitte à le pousser un peu.
La France ne se décivilise pas, elle s’affaiblit. Elle ne s’ensauvage pas, elle s’attriste. Bientôt, du fait de toute la violence politique et sociale que le macronisme lui aura infligée, elle se laissera porter dans les bras d’une extrême-droite qui l’attend en se frottant les mains, comme un chargé de mission au service des affaires juridiques de l’UMP, aujourd’hui ministre du plus important des ministères régaliens, profiterait d’une femme désespérée. Des leçons de civilisation par ces gens-là ? Navré, il y a ceux qui font vivre notre pays, ceux qui représentent le peuple et l’aiment, et enfin, il y a ceux qui ne sont rien.
Gabin Bruna
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