La première journée grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites s’est tenue ce jeudi 19 janvier. La grève s’est accompagnée de manifestations dans toute la France. Nos reporters étaient sur le terrain dans différentes villes.
Une réforme impopulaire
Cette nouvelle réforme a pour but de reporter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, au lieu de 62. Mais pour avoir une retraite à taux plein, il faudra atteindre un « âge d’équilibre » défini selon l’année de naissance, qui pourra se situer entre 65 et 67 ans. D’après un sondage Ifop publié ce mois-ci, 68% des Français s’opposent à la réforme. Du côté des actifs, 93% y sont opposés. Seuls les retraités soutiennent véritablement la réforme.
À Paris, on ne bat pas en retraite
Sur la place de la République, Sandra* est là pour représenter ses collègues. Étant soignante dans un EHPAD, elle fait partie des rares qui ont pu s’absenter le temps de la manifestation. Concernant la réforme, elle ironise : « On va partir beaucoup plus tard, et on peut avoir des résidents dans nos établissements qui sont plus jeunes que des soignants, parce qu’on peut rentrer à 62 ans et puis on peut partir à la retraite à 64 ans. »
Gérard*, militant CGT originaire de Seine-et-Marne, s’inquiète : « Pour les entreprises, nous les seniors on coûte trop d’argent, on n’est plus assez productifs pour la société capitaliste et donc on va se retrouver au chômage et toujours être une charge pour la société. »
Karim*, lui, porte une casquette aux couleurs de la CFDT. « La réforme n’est pas justifiée. On nous pointe du doigt un déséquilibre budgétaire, mais cette année on est encore excédentaires, on a des caisses de réserve, on a certains leviers qui nous permettraient d’équilibrer ce régime, on a le conseil d’orientation des retraites qui nous dit précisément que ce régime n’est pas en danger. »
Au cours de l’après-midi, la manifestation est marquée par des échauffourées avec la police avec des jets de projectiles.
Les forces de l'ordre reculent ! pic.twitter.com/NelGSAVm6e
— Gavroche (@Gavroche_media) January 19, 2023
À Rouen, un élu local critiqué
À Rouen, la manifestation a commencé, comme le veut la tradition syndicale, à la colonne Champlain vers 10 heures.
Sur le trajet, la manifestation marque un arrêt devant l’Hôtel de Ville. Julien, un représentant CGT des territoriaux de Rouen, prend la parole et prononce un discours. Il pointe du doigt le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, qui s’était fait connaitre au niveau national pour le débat sur la statue de Napoléon, est candidat pour devenir premier secrétaire du Parti Socialiste. Les élections du second tour, l’opposant à l’actuel premier secrétaire Olivier Faure, ont lieu le même jour que la manifestation.
Julien est menuisier, employé par la mairie de Rouen. « Y’a des prises de position qui sont faites de la part de Monsieur Mayer-Rossignol dans les médias et on voit que c’est pas en rapport avec ce qu’on vit ici à la mairie de Rouen » se désole Julien. « On lui a lancé un appel, là, ce matin, à rouvrir le dialogue social. Il critique le gouvernement qui n’est pas en échange avec les syndicats, mais en fait lui il est pareil avec ses employés. On veut qu’il se remette à la table des négociations pour prendre en compte la pénibilité dans nos métiers. »
À Montpellier, étudiants et travailleurs main dans la main
La grève est particulièrement suivie à Montpellier. On recense 100 % de grévistes chez Nicollin, la célèbre entreprise du traitement des déchets, tout comme à la TAM, service des transports montpelliérains. Ce jeudi 19 janvier, il n’y a donc ni tram ni bus en circulation. Malgré cela, ils sont plus de 25 000 à battre le pavé à Montpellier. Comme partout en France, la mobilisation contre la réforme des retraites est massive dans la capitale héraultaise. Ce premier rendez-vous est fixé à 11 heures place Zeus dans le quartier Antigone, devant l’Hôtel de la Métropole.
Très rapidement, ce sont plusieurs milliers de personnes qui se rassemblent dans une bonne ambiance. Plusieurs figures politiques locales sont présentes comme le maire socialiste de la ville Michaël Delafosse, des députés héraultais de la NUPES, Sébastien Rome, Nathalie Oziol ou encore Sylvain Carrière. L’ancien maire de la ville Philippe Saurel a lui aussi répondu présent à l’appel de l’intersyndicale.
Mais le cœur de cet évènement, ce ne sont pas les têtes d’affiche. C’est la foule. Dans cette foule, une myriade de corps de métier composent la manifestation. Les travailleurs de la santé, du médico-social, de l’enseignement, de l’industrie ou encore des transports en commun sont pleinement mobilisés. La convergence des luttes n’est pas qu’un mot d’ordre : elle se voit. On peut aussi compter le cortège étudiant, parti de l’Université Paul-Valéry. Les étudiants donnent de la voix à l’appel du collectif Le Poing Levé et du SCUM (Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier). Le SCUM est très actif dans la vie étudiante montpelliéraine. Il mène une bataille importante contre la précarité étudiante, avec des actions de distribution alimentaire tous les vendredis à destination des étudiants en difficulté. Ce syndicat a aussi fait voter la suppression des limites de places administratives en licence et en master pour la rentrée 2024.
Dans le cortège, le collectif des Gilets Jaunes du rond-point des Prés d’Arènes est lui aussi présent. Une « citoyenne en colère », gilet jaune de la première heure, confirme que ces derniers occupent toujours activement le rond-point depuis le 17 novembre 2018. Elle nous confie sa détermination mais aussi sa déception des marches syndicales habituelles.
À Bordeaux, une marche sous la pluie
Midi, place de la République. Les manifestants affluent pour répondre à l’appel de l’intersyndicale contre la réforme des retraites. Ils ont l’intention de déambuler pendant quatre heures, malgré la pluie fine qui mouille déjà les pancartes. Morceaux choisis : « Elisabeth Borne dépasse les bornes. » « C’est le gouvernement qui doit battre en retraite. »
Une multitude de professions sont représentées : des employés de la papèterie Smurfit Kappa de Biganos, des agents de la territoriale, de la SNCF… Parmi les groupes, figurent quelques jeunes venus soutenir la revendication.
Arrivés sur le pont de Pierre, certains manifestants en profitent pour apprécier l’ampleur du cortège et le camaïeu des parapluies. La foule avance d’un pas tranquille sur les quais sous une pluie qui s’intensifie. Le froid gèle les mains. Mais les paroles du groupe Zebda qui s’échappent des enceintes du camion de la CGT, font sourire sinon chanter.
Visiblement, peu de forces de l’ordre sont venues encadrer le cortège. Une partie du cœur de ville est néanmoins interdit à la circulation pour laisser passer la foule ; le cours de l’intendance et la place de la Comédie notamment. L’ambiance restera calme, tandis que l’intersyndicale dénombrera 60 000 manifestants bordelais, 16 000 selon la préfecture. Ce n’est pas la pluie qui aura découragé la manifestation girondine !
À Lille, une grève ensoleillée
À Nîmes, une mobilisation historique
Du côté de la Rome française, Nîmes, les participants s’étendent le long du boulevard Jean Jaurès qui mesure 1,3 km de long. Les manifestants s’accordent à affirmer qu’une mobilisation de telle ampleur n’avait pas été vue depuis longtemps. Les chiffres de la CGT étant de 20 000 participants nîmois, et de 12 000 selon les forces de l’ordre. Cette procession syndicale longe les monuments historiques et iconiques du Gard : le jardin de la fontaine, la Maison Carrée, ainsi que les Arènes. Les appels du progrès de la foule sur fond d’architecture antique. L’ambiance y est bonne, on y gueule, on y chante et on y discute sous fond de pétards, de musique et de tambour.
La situation est similaire dans la ville voisine d’Alès, où la mobilisation voit 6 000 a 10 000 manifestants défiler.
À Limoges, ville d’origine de la CGT
Le rendez-vous était fixé à 14h au carrefour Tourny, mais beaucoup de manifestants sont arrivés en avance. On s’embrasse, croise de vieilles connaissances, des camarades de lutte, des collègues et des amis. Quelques élus sont là aussi et se prennent en photo. Devant les galeries marchandes, la foule gronde gaiement. Un fumigène rouge est lancé, la fumée cache bientôt un café de luxe en décor. Il est aménagé dans une ancienne demeure bourgeoise, une image d’un autre temps. Et c’est parti, le cortège s’élance et remonte les boulevards.
Plus loin, au deuxième étage des bureaux d’une banque, à la fenêtre, quelques employés regardent curieusement la foule, comme une attraction. Ceux-là, ils auront peut-être une belle retraite.
La CGT est chez elle, dans la ville qui l’a vu naître. Sont aussi présents la FSU et ses enseignants, ainsi que la CFDT. Et il y a cette femme qui tient un panneau, sur lequel on peut lire : « Aide soignante, je soignerai toujours vos enfants ». Sera-t-elle encore capable de tenir sa promesse à 67 ans ?
À l’arrière, pour clore le cortège, les pompiers ont décoré de slogans leurs camions rouges. Ce sont eux qui font le plus de bruit. Le cortège est tellement grand qu’il aurait pu se mordre la queue si le trajet avait été plus serré. La ville n’en revient pas, ça faisait longtemps qu’on avait pas vu ça.
À Saint-Brieuc
Les syndicats ont réussi leur premier pari : réunir énormément de Français dans la rue contre la réforme des retraites, sur tout le territoire national. Les chiffres nationaux sont de 1,1 million de personnes en France, selon le ministère de l’Intérieur, 2 millions selon la CGT. L’avenir nous dira si ce mouvement peut durer dans le temps. Une deuxième manifestation aura lieu ce samedi à Paris, à l’appel de la NUPES.
Tanguy Lacroix, Thomas Rannou, Laurine Varnier, Cécile Auriol, Thomas Bouvet, Théo A, Théo Marseille, et Johan Lamoureux
* Les prénoms de certaines personnes citées ont été modifiés pour des raisons d’anonymat.
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